Immersion dans le son
réalisée au centre de recherche
néerlandais TNO.
Elle recréera une structure
totalement circulaire à 360 °,
sur laquelle seront fixés des
haut-parleurs dont l’axe de
diffusion passera par les
oreilles de l’auditeur, situé au
centre.
L'écoute au casque est en pleine mutation. Avec neuf partenaires, Orangs Labs Rennes réinvente le son en 3D.
Dans les années 50, la stéréophonie(1) était l’innovation. Les acousticiens planchent désormais sur le son binaural (“deux oreilles”). Le principe ? Sous son casque, l’auditeur entend des sons tout autour de lui, à toutes les distances et dans toutes les directions. Il est en immersion sonore. « Le monde de l’audio vit aujourd’hui une révolution, car nous sommes restés très longtemps sur le son stéréophonique », résume Rozenn Nicol, ingénieure de recherche à Orange Labs Lannion. « Avec l’émergence des tablettes et mobiles, que l’on écoute au casque, le son binaural est la grande tendance, estime Marc Emerit, son collègue ingénieur à Rennes. D’ici quelques années, il sera partout. »
Au casque, sur tablettes et mobiles
Le projet Bili (Binaural Listening) démarre cette année. Il associe France Télévision, chef de file du projet, Radio France, Orange Labs, l’Ircam(2), le Limsi(3) et cinq acteurs du monde de l’audio. « Les programmes sont aujourd’hui visionnés sur des écrans de plus en plus petits, tablettes, smartphones : le regard est attiré ailleurs, explique Matthieu Parmentier, responsable de projets Recherche et développement à France Télévision. L’immersion sonore fidélise le spectateur. Dans un match de foot sur smartphone, les joueurs sont tout petits. Mais si vous avez l’impression sonore d’être au milieu du stade, avec l’ambiance autour, cela change tout ! »
Les chaînes de télévision proposent déjà du son multicanal. Ce son spatialisé (norme 5.1) provient de cinq haut-parleurs dans le salon (à gauche, au centre, à droite, à l’arrièregauche et l’arrière-droit). Avec le binaural, le casque remplace tous ces haut-parleurs. Pour France Télécom, ce son présente beaucoup d’intérêt. « Nous voulons que les usagers d’Orange profitent du son 5.1 au casque sur les tablettes, les mobiles et la TV connectée », explique Marc Emerit. Une autre application concerne les audios et visioconférences, « pour une meilleure représentation mentale de la réunion dans l’espace, plutôt que de se demander d’où vient la voix qui parle. »
L’enregistrement binaural est simple. Placez deux petits micros dans vos oreilles. La prise de son vous replongera dans le monde sonore où vous étiez. Mais il y a un problème. Si un ami écoute votre enregistrement, il ne localisera pas les sources sonores aux mêmes endroits. Quant à la hauteur des sons par rapport au sol, elle fluctue ! Chaque individu a en effet sa propre perception spatiale des sons : c’est toute la difficulté du son binaural (voir p. 12-13).
La transformation du signal
« Entre le moment où le son sort d’un hautparleur et celui où il arrive à l’intérieur du conduit auditif, il y a une transformation du signal, spécifique à chaque oreille, explique Marc Emerit. Elle dépend de la position angulaire et de la distance de la source, ainsi que de la morphologie de l’auditeur. » Le pavillon de l’oreille, qui colore le son, joue un rôle essentiel dans la localisation. Le projet Bili veut modéliser cette transformation du signal, spécifique à chacun, en s’appuyant sur des méthodes expérimentales.
À partir de cet été, cinquante personnes vont jouer les cobayes, l’une après l’autre, dans une chambre sourde (anéchoïque), à Orange Labs Lannion(4). Dans ce cube où les ondes ne se réfléchissent pas, chaque cobaye a deux minimicros dans ses oreilles. Les chercheurs émettent les sons de mesures dans des centaines de directions tout autour. En enregistrant le son, les acousticiens obtiennent une représentation sphérique de la captation sonore de chaque individu. Ils en déduisent une fonction de transfert de la tête (Head-Related Transfer Function).
Scanner le pavillon de l’oreille
Cette HRTF est une signature personnelle. Elle est composée de deux filtres (un par oreille) : en les appliquant à un son, il devient spatialisé. Mais pour obtenir ces filtres, il faut subir des tests individuels, pendant deux heures, en chambre anéchoïque. Ce n’est pas vraiment pratique. « Le grand challenge de Bili consiste à trouver une manière simple d’obtenir des filtres, en fonction de la morphologie de chaque personne », explique Marc Emerit. « Le Graal que nous poursuivons est une solution grand public, complète Rozenn Nicol. Imaginez une cabine, un “binaumaton”. En trente secondes, un scanner 3D prend la forme du pavillon de l’oreille, au millimètre près. Ce maillage aboutit à des algorithmes de modélisation, qui calculent les HRTF associées à chaque morphologie. »
Les acteurs du projet Bili ont trois ans pour trouver. Le son en 3D étant une spécialité de ses ingénieurs depuis dix ans, Orange Labs est bien parti. Mais la course est mondiale pour trouver la méthode pour individualiser le son, avec des universités et les grandes entreprises du son, aux États-Unis, au Japon et en Corée. Le son binaural était à l’ordre du jour des rencontres du consortium des télévisions européennes (Eurovision), en mai, avec France Télévision. La BBC mène une recherche active. Tout comme Radio France, l’autre grand acteur de Bili, qui a lancé le site www.nouvoson.radiofrance.fr. Avec deux oreillettes, il permet de découvrir ce nouveau monde acoustique.
Une expérience avec l’Opéra de Rennes
Les spécialistes de l’écoute binaurale (lire ci-dessus) ont participé à une expérience avec l’Opéra de Rennes. Le 4 juin, La Traviata de Verdi a été diffusée sous plusieurs formes, avec les acteurs de l’innovation numérique : captation avec caméra 360 ° et restitution virtuelle sur tablettes (Orange, Insa), projection sur écrans en ultra HD et écoute au casque sans fil (Orange, Technicolor, Diwel), restitution en réalité augmentée et visite virtuelle (Artefacto). La Traviata a été retransmise en direct (TVR, Ty Télé, Tébéo, France 3, France Musique) et en extérieur dans sept villes bretonnes et à Jersey. Pour le projet de recherche Bili (Binaural Listening, lire ci-dessus), plusieurs méthodes de prise de son ont été testées aux répétitions : micros à 360°, micros sur des têtes artificielles, micros parmi l’orchestre, le chœur et près des solistes. Les chercheurs vont les comparer et réaliser un mix binaural. L’objectif est de trouver la méthode qui offrira à l’auditeur, casque aux oreilles, l’immersion sonore idéale - comme s’il vibrait au cœur de l’opéra.
(1) Le son stéréophonique est enregistré par deux micros et diffusé par deux canaux.
(2)Ircam : Institut de recherche et coordination acoustique/ musique.
(3)Limsi : Laboratoire d’informatique pour la mécanique et les sciences de l’ingénieur CNRS, Université Pierre-et-Marie-Curie et Université Paris-Sud.
(4)Et à l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam), à Paris.
Matthieu Parmentier Tél. 01 56 22 43 28
matthieu.parmentier [chez] francetv.fr (matthieu[dot]parmentier[at]francetv[dot]fr)
Rozenn Nicol Tél. 02 96 05 16 99
rozenn.nicol [chez] orange.com (rozenn[dot]nicol[at]orange[dot]com)
Marc Emerit Tél. 02 99 12 47 54
marc.emerit [chez] orange.com (marc[dot]emerit[at]orange[dot]com)
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