Ça bulle dans les labos !
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L’éclatement a été filmé par une caméra ultrarapide (1 à 5).
Une bulle qui éclate donne naissance à une multitude de petites bulles filles. Le phénomène a été décrypté par des physiciens rennais et américains.
Faire des bulles de sa-von, un jeu d’enfant ? Pas seulement. Tentez l’expérience à la maison. Prenez de l’eau savonneuse et une paille, soufflez pour former une bulle sur le bord de l’évier ou sur votre table de cuisine et éclatez-là du bout des doigts. Approchez-vous : si le dôme transparent a bien disparu, il a laissé derrière lui tout un cortège de bulles plus petites, disposées en cercle !
L’expérience a passionné Laurent Courbin, spécialiste des fluides à l’Institut de physique de Rennes. Avec des collègues américains, il a cherché à comprendre les étapes qui mènent d’une “bulle mère” à une multitude de petites “bulles filles”. Une découverte publiée le 10 juin dernier dans la revue scientifique Nature(1) « Le phénomène est intrigant, et tout le monde peut l’observer. Pourtant il n’avait jamais été étudié, confie Laurent Courbin, qui s’y est intéressé par hasard, en 2007, lors d’un séjour de l’autre côté de l’Atlantique, à l’Université de Harvard. « Au départ, nous faisions des bulles pour étudier leur étalement, pas pour les éclater ! »
Comme une bouée
Caméra ultrarapide au poing – 1000 images par seconde, soit 400 plus qu’une caméra classique –, les scientifiques ont pu filmer et photographier l’intégralité des étapes, surtout celles qu’il est impossible de voir à l’œil nu ! « Quand on perce la bulle, elle s’ouvre, les parois se rétractent et se replient vers la base jusqu’à former une bouée. » Cette forme géométrique est instable, c'est-à-dire qu’elle va nécessairement dégénérer. Dans ce cas précis, elle mute en une multitude de bulles environ dix fois plus petites que celle d’origine.
Dans les embruns
En plus de permettre aux parents de faire de la physique à la maison avec leurs enfants, cette découverte pourrait apporter des éléments de réponse à certains chercheurs, en océanographie notamment. « L’éclatement de bulles à la surface de la mer est l’une des sources d’embruns », précise Laurent Courbin. Parce qu’ils sont constitués de gouttelettes renfermant du gaz, des bactéries, ces derniers sont particulièrement importants dans les échanges entre océan et atmosphère. « Jusque-là les grosses bulles (quelques cm de diamètre) n’intéressaient pas plus que ça les océanographes, car elles ne projettent pas la moindre gouttelette. Or maintenant, on sait qu’elles donnent naissance à ces bulles plus petites qui elles dispersent des gouttelettes dans l’atmosphère et vont à leur tour engendrer un cercle de “petites-filles”... » Et ainsi de suite ? « Non, poursuit le physicien, le phénomène en cascade s’arrête au bout de deux générations. Ensuite les bulles deviennent trop petites. »
Le miel est trop visqueux
Pour assouvir leur curiosité, les chercheurs ont testé le phénomène sur d’autres fluides. « Ça fonctionne encore sur des liquides environ 5000 fois plus visqueux que l’eau. Par exemple, avec de l’huile de ricin. » Inutile par contre de tartiner votre table de miel liquide : il est déjà trop visqueux. Les parois ne se rétractent pas, la bulle s’écroule. Suite à cette première publication, les scientifiques voudraient poursuivre leurs expériences avec d’autres matériaux, comme du verre fondu.
« Il y a un intérêt pour les industriels, qui aimeraient pouvoir produire un verre sans défaut. » Le physicien, un peu sorti de sa bulle depuis son retour à Rennes, il y a plus d’un an, pourrait bien y replonger rapidement...
(1) Daughter bubble cascades produced by folding of ruptured thin films. James C. Bird, Riëlle de Ruiter, Laurent Courbin & Howard A. Stone, Nature 465-759, 10 juin 2010.
Laurent Courbin
Tél. 02 23 23 30 27
laurent.courbin [at] univ-rennes1.fr (laurent[dot]courbin[at]univ-rennes1[dot]fr)
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