Les villes poussent les murs
Les villes grossissent. Rennes aussi, sous le regard de géographes, de spécialistes du climat et de sociologues...
Rennes prend du poids. Ce n’est un secret pour personne. Mais, comme ses voisines, la capitale bretonne n’a pas grossi d’un seul coup comme un champignon. La périurbanisation est un mouvement continu qui date d’après-guerre. « La colonisation s’est faite par vagues successives parfois un peu anarchiques, de type “tache d’huile”, jusque dans les années 1970, explique Yvon Le Caro, enseignant-chercheur en géographie sociale à l’Université Rennes 2(1). On note une accélération dans les années 80-90, avec la création de la deuxième couronne. Enfin, depuis les années 90 à aujourd’hui, il y a des demandes d’habitat en troisième voire quatrième couronne, avec un transfert des populations du centre-ville vers la périphérie. »
1 hectare tous les deux jours
Ce phénomène est directement lié à l’augmentation de la population et à la répartition de celle-ci. La Bretagne possède sur ce plan une organisation originale structurée en vingt et un pays, autour de pôles urbains de taille moyenne. « Cela se traduit par une répartition assez homogène de l’activité résidentielle et économique sur le territoire, exception faite de Rennes qui est le plus gros pôle urbain de la région », note Catherine Guy, enseignant-chercheur à l’Université Rennes 2 et membre de la cellule prospective du Conseil économique et social de la Région Bretagne (lire encadré p.11). En 2005, le taux d’urbanisation de Rennes Métropole était de 18%. Un chiffre plutôt bas mais qui augmente vite : 190 hectares de cultures et de prairies disparaissent chaque année, soit 1 hectare tous les deux jours !
Vingt et un ans d’artificialisation
L’Audiar (Agence d’urbanisme et de développement intercommunal de l’agglomération rennaise) a sollicité des spécialistes, les géographes rennais du laboratoire Costel (Université Rennes 2), pour avoir une image précise de cette extension. “Vingt et un ans d’artificialisation du territoire en Ille-et-Vilaine”, telle est l’étude que Rahim Aguejdad vient de lui remettre. C’est en même temps le sujet de sa thèse en cours de finalisation. Il a analysé l’étalement urbain grâce à des photos aériennes et des images satellite détenues ou achetées par le laboratoire. Il a commencé par travailler sur l’artificialisation de l’axe Saint-Malo, Rennes, Nantes, Saint-Nazaire, a ensuite étendu son analyse à l’échelle du département (données de 1984 et 2005), avant de se recentrer sur Rennes Métropole (données de 1984, 1990, 1995, 2000 et 2005). Si la compilation des images satellite fait nettement apparaître l’évolution de l’étalement urbain, ces données permettent surtout de faire de la modélisation. « Pour avoir une idée de l’étalement jusqu’en 2020, poursuit Rahim Aguejdad. En partant du Schéma d’organisation du territoire (Scot) actuel, nous imaginons différents scénarios d’occupation des sols, avec plus ou moins de contraintes. »
Certains de ces scénarios mettent en péril l’organisation du territoire appliquée par Rennes Métropole, qui consiste à alterner ville et campagne (par comparaison, Nantes a un développement différent, plutôt basé sur le modèle de la tache d’huile). Ils font apparaître des espaces de conurbation, c’est-à-dire des zones où les villes finissent par se toucher. « Ceci est particulièrement visible dans le sud, sur l’axe Rennes/Bruz. Le nord de Rennes est moins concerné par ce phénomène. »
« L’urbanisation des esprits ! »
« Mais attention, reprend Yvon Le Caro, il ne faut pas cantonner l’urbanisation à l’extension géographique des villes. L’urbanisation, c’est aussi l’arrivée des citadins dans des espaces ruraux avec de nouvelles idées : ils veulent retrouver les mêmes niveaux de services qu’en ville. C’est l’urbanisation des esprits ! » Et les questions engendrées par cette extension sont d’ordres urbanistique, climatologique, mais aussi social (lire pages suivantes).
On arrive aujourd’hui à un stade où l’on se demande ce que l’on fera quand la troisième couronne sera saturée : est-ce que l’on continue ?
Combien serons-nous en l’an 2030 ?
Imaginer le visage de la population bretonne à l’horizon 2030, c’est une des études réalisées par la cellule prospective du Conseil économique et social de la Région Bretagne (CESR) en 2007(3). « En 2005, les résultats du dernier recensement se trouvaient sur la fourchette de prévision haute calculée par l’Insee, explique Catherine Guy, qui a participé à l’étude. C’est ce qui nous a conduits à revoir les scénarios de mobilité des populations. » La Bretagne est la région de France qui attire le plus les “retours aux pays”.
Les nouveaux arrivants choisissent le plus souvent les zones littorales et les deux gros pôles urbains que sont Rennes et Vannes. Rennes est aujourd’hui un pôle universitaire attractif et la Bretagne est prisée pour son littoral.
Mais avec les difficultés organisationnelles de l’enseignement supérieur et les problèmes de pollution de certaines plages, qu’en sera-t-il demain ? « Le but de la section prospective est d’arriver à imaginer cela. Et il n’est pas toujours facile d’anticiper des valeurs démographiques car il s’agit de durées longues : celles d’une vie ! »
catherine.guy@univ-rennes2.fr
www.bretagne.fr
(1) Dans le laboratoire CNRS - Réso : Rennes - Espaces et sociétés
(2) Rahim Aguejdad a travaillé à partir des images du satellite américain Landsat.
(3) Mobilité des populations et territoires de Bretagne, à l’horizon 2030. Réflexions prospectives.
Yvon Le Caro, Tél. 02 99 14 18 30
yvon.lecaro [at] univ-rennes2.fr (yvon[dot]lecaro[at]univ-rennes2[dot]fr)
Catherine Guy, Tél. 02 99 14 18 12
catherine.guy [at] univ-rennes2.fr (catherine[dot]guy[at]univ-rennes2[dot]fr)
Rahim Aguejdad, Tél. 02 99 14 18 47
rahim.aguejdad [at] univ-rennes2.fr (rahim[dot]aguejdad[at]univ-rennes2[dot]fr)
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