La plus vieille carte d’Europe est bretonne !
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Découverte il y a plus d’un siècle, la dalle du tumulus de Saint-Bélec était restée dans les oubliettes de l’histoire. Des chercheurs viennent de démontrer qu’il s’agissait d’une carte vieille de 4 000 ans.
Elle a été oubliée pendant un siècle ! Découverte en 1900, la dalle de Saint-Bélec reposait au fond d’un tumulus1. Datée de l’âge du bronze, il y a 4 000 ans, cette pierre en impose : une tonne et demi, pour 2 m de long et 1,5 m de large. Mais surtout, une de ses faces est couverte de motifs gravés... aussi intrigants qu’indéchiffrables. Quelques années après cette trouvaille, la dalle est expédiée au musée d’Archéologie nationale2. Elle est alors laissée dans une cave, sans être inventoriée… jusqu’en 2014. Cette année-là, Yvan Pailler, archéologue à l’UBO3 à Brest, et Clément Nicolas, postdoctorant à l’Université de Bournemouth (Royaume-Uni), partagent une même intuition : ces symboles représentent une carte. « Nous avons fouillé les réserves du musée pour remettre la main sur cette dalle et en réaliser un scan 3D, expose Yvan Pailler. Il fallait vérifier s’il existe des concordances entre ces gravures et le paysage qui entoure le tumulus. Le modèle 3D a été superposé aux relevés topographiques4 de la zone. » Les premières similitudes apparaissent : une gravure triangulaire semble correspondre à la vallée de l'Odet, dans le Finistère. À côté, une longue ligne pourrait représenter la crête des montagnes noires...
Une restitution mentale
Une fois les premiers éléments d'accroche établis entre le terrain et la dalle, un test statistique a été réalisé. Il a débouché sur des degrés de similarité de 65 % à 80 %. « La dalle a été gravée par des personnes qui arpentent le territoire, explique Yvan Pailler. Ils en ont fait une restitution mentale qui induit forcément des déformations, à l’image des cartes réalisées par des peuples indigènes d’aujourd’hui, comme les Touaregs. La concordance entre ces dernières et les relevés topographiques sont du même ordre de " grandeur. " »
Les similitudes reposent pour le moment sur des éléments naturels du paysage. Mais beaucoup de symboles restent à déchiffrer. Notamment le trapèze qui trône au centre de la dalle, près des sources de l’Odet. « Nous allons faire de nouveaux relevés topographiques sur le site pour dénicher les restes d’une potentielle construction humaine. C’était peut-être le lieu d’exercice du pouvoir », se projette l’archéologue.
Une quinzaine de territoires
À cette époque, la Bretagne était divisée en une quinzaine de territoires. Chaque prince d’Armorique régnait sur des zones de 30 à 40 km, ce qui correspond bien à la taille du paysage représenté sur la dalle. « C’était une manière d’affirmer son pouvoir sur ces terres, ajoute Yvan Pailler. Cette carte a peut-être été enterrée dans une tombe afin de marquer la fin de cette société fortement hiérarchisée. » D’autres grands éléments gravés n’ont pas encore d’interprétation : tumulus ? mines ? chemins ? La carte n’a pas encore révélé tous ses secrets.
1. Dôme artificiel de 40 m de longueur, fait de terre et de pierres, qui recouvre une tombe.
2. Au château de Saint-Germain-en-Laye (Ile-de-France).
3. Université de Bretagne Occidentale.
4. Ensemble des données d’un terrain visant à en établir une restitution exacte.
Yvan Pailler
yvan.pailler@inrap.fr
Clément Nicolas
cnicolas@bournemouth.ac.uk
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