Inventorier la vie à 3000 m de fond

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N° 371 - Publié le 2 avril 2019
Woods Hole Oceanographic Institution / Charles R. Fisher
À bord de L’Atalante, les chercheurs découvrent sur leurs écrans la vie étrange, 3000 mètres plus bas, filmée par le robot Victor. Sur le flanc d’un fumeur noir (1), des gastéropodes Alviniconcha (2) et des moules géantes Bathymodiolus (3).

Avant l’arrivée de sociétés minières.

Le 20 mars 1869, 20000 lieues sous les mers de Jules Verne paraît en librairie. Cent cinquante ans plus tard, le robot Victor de l’Ifremer(1) explore des sources hydrothermales à 3000 mètres de fond, dans l’océan Pacifique ouest. Ces cheminées minérales, appelées aussi “fumeurs noirs”, libèrent des fluides chauffés à 350 °C par le magma terrestre. Elles créent sur leurs flancs une vie luxuriante.

Équipé de projecteurs, de huit caméras et de matériel de prélèvement, le Rov(2) Victor est relié par câbles au navire océanographique L’Atalante. À bord du navire, devant des écrans, les chercheurs du CNRS(3) Didier Jollivet et Stéphane Hourdez dirigent les déplacements du robot avec le pilote(4). La mission océanographique Chubacarc(5) qu’ils coordonnent réunit trente scientifiques, du 25 mars au 6 juin.

Du fer, du cuivre, de l’or

L’objectif est l’exploration de cinq sites, où des sociétés minières ont obtenu un permis d’exploiter les métaux composant l’édifice des “fumeurs noirs”. Ces structures sont très riches en fer et en cuivre. Elles contiennent aussi un peu d’or, d’argent, de platine, de zinc ou de cadmium. Mais ces fumeurs sont aussi un milieu vivant composé de crevettes, de crabes, de moules, de gastéropodes ou de vers géants. À l’orifice des fumeurs, des nappes de bactéries se développent. Elles produisent leur énergie en oxydant les composés réduits de sulfures et de métaux. Tout près de l’évent(6), une faune de “brouteurs” mange ces bactéries, pour leurs sucres et leurs acides aminés. Plus bas, de grands organismes poussent, comme le gastéropode Alviniconcha (photo). Ils vivent en symbiose (association indispensable) avec les bactéries.

Disparition de l’écosystème

« Notre mission consiste à établir un état de référence de ces écosystèmes hydrothermaux, explique Stéphane Hourdez. Pour évaluer leur capacité de récupération après le passage des compagnies minières. » La technique des industriels consiste à écraser les fumeurs, à remonter la matière concassée sur un navire usine, à récupérer les métaux, puis, via un long tuyau, à répandre les boues résiduelles à 150 mètres du fond. Outre la disparition de l’écosystème des fumeurs, cette vase étouffe les autres formes de vie sur une surface d’environ deux km².

Ces recherches fondamentales coûtent cher. De petits pays, comme les Fiji, les Tonga, la Papouasie Nouvelle-Guinée, dont L’Atalante explore les zones maritimes, ne peuvent les organiser. Les résultats de la mission seront à leur disposition. « Leurs dirigeants décideront de signer, ou non, avec les industriels pour l’exploitation de leurs fumeurs noirs, précise Stéphane Hourdez. Ils doivent être informés de la valeur de leur patrimoine. Celui-ci est invisible, mais il représente peut-être notre future armoire à pharmacie. » La première extraction minière débute en 2020.

Marc Beynié

(1) Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer.
(2) Remote operated vehicle (véhicule sous-marin télécommandé).
(3) Centre national de la recherche scientifique.
(4) Didier Jollivet est chef de projet de mission Chubacarc (Station biologique de Roscoff), Stéphane Hourdez est chef de mission principal de la mission Chubacarc (Observatoire océanographique de Banyuls).
(5) Connectivité et histoire des communautés hydrothermales dans les bassins et volcans arrière-arc du Pacifique ouest.
(6) L’orifice du fumeur.

Didier Jollivet, jollivet@roscoff.fr
Stéphane Hourdez, hourdez@obs-banyuls.fr

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