Et la ville redeviendra nature

N° 365 - Publié le 2 octobre 2018
Jean-Pierre Ferrand

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Écologues, géographes et spécialistes du génie civil cherchent à enrichir la biodiversité en ville.

« L’environnement urbain est comme un filtre écologique. Certaines espèces passent, d’autres non. » Biogéographe CNRS au laboratoire LETG(1) à Nantes, Laurent Godet étudie la distribution des espèces animales, en fonction des activités humaines. « Quand un espace s’urbanise, les cortèges faunistiques et floristiques se modifient. Ce n’est ni bon, ni mauvais en soi. Il peut y avoir un enrichissement local. Mais à l’échelle de la planète, cela conduit à une érosion de la biodiversité. Les espèces que l’on gagne avec l’urbanisation sont en général communes et généralistes. Elles s’adaptent à tous les milieux et remplacent souvent des espèces rares et localisées. »

Laurent Godet a cosigné(2) le 10 septembre dans Trends in ecology and evolution, une publication qui fait le point sur 13000 articles de recherche sur la biodiversité, depuis quinze ans. Cette étude confirme les quatre grandes menaces qui pèsent sur la nature : la surexploitation des ressources, la fragmentation des habitats naturels, l’introduction d’espèces invasives et les extinctions en chaîne qui en découlent. L’urbanisation joue-t-elle un rôle négatif ? « Oui, car la ville fragmente les habitats naturels de deux manières, en réduisant leur taille et en les morcelant. L’effet est délétère sur la biodiversité. »

Pour contrer ce déclin, les villes doivent intégrer des trames vertes dans leurs plans locaux d’urbanisme. Cela veut dire aménager des corridors naturels, pour établir des continuités écologiques. « La ville est un écosystème original, en raison de la très forte minéralisation des sols, avec des structures telles que la voirie et le bâti, explique Solène Croci, écologue urbaine CNRS au LETG à Rennes. Cela engendre une fragmentation très forte des habitats, qui empêche les déplacements de certaines espèces. » Pour mettre en place des corridors, les aménageurs doivent tenir compte de tous les usages d’un espace, sans nuire au développement économique de la ville. De plus, un corridor adapté à une espèce ne l’est pas forcément pour une autre ! Les hérissons préfèrent les sites boisés, certains papillons apprécient les prairies. Comment faire ?

Les trajets des animaux

Les chercheurs ont modélisé, puis validé sur le terrain, les corridors écologiques à Rennes. Dans le cadre du projet Corbam(3), terminé en 2017, les “chemins de moindre coût” ont été identifiés. Ils correspondent aux trajets que les animaux ont le plus de probabilité d’emprunter. Ce programme a donné lieu à une thèse, soutenue par Manon Balbi(4) au laboratoire Écobio(5).

« Nous avons suivi les hérissons, les papillons de nuit et les oiseaux », poursuit Solène Croci. Ces animaux ont été choisis pour leurs habitats et leurs capacités de dispersion. Les scientifiques ont testé leur mobilité dans les zones identifiées par la modélisation comme favorables aux mouvements, ou non. Les écologues ont équipé des hérissons d’émetteurs radio. Ils les ont relâchés dans des endroits facilitant, plus ou moins, leurs déplacements. Après l’expérience, les animaux ont été replacés dans leurs habitats d’origine.

Hérissons équipés de GPS

 Les déplacements des papillons ont été testés par une série de captures, marquages puis recaptures. Pour les oiseaux, les écologues ont diffusé des chants et mesuré leur distance avec l’émetteur. Les résultats sur le terrain valident les prédictions du modèle. Celui-ci sera utile pour l’aménagement urbain. Pour affiner ces résultats, les écologues veulent aujourd’hui identifier précisément quels végétaux ou structures sont privilégiés par les animaux. Une nouvelle expérience commence. Elle consiste à équiper une vingtaine de hérissons de GPS, pour suivre leurs déplacements à Rennes.

Un parc naturel urbain

Solène Croci est aussi responsable du suivi de la biodiversité des prairies Saint-Martin, en pleine transformation à Rennes. Cet espace vert de 30 hectares se situe au bord de l’Ille, la rivière qui rejoint la Vilaine au centre-ville. Il devient un parc naturel urbain, futur grand îlot de fraîcheur pour les citadins. Un relevé d’espèces a été réalisé avant le chantier, un échantillonnage sera effectué après les travaux. Le but est de savoir quelles espèces partent ou arrivent. Et combien d’individus ? Pour cette étude, les échanges sont nombreux entre les scientifiques et la ville de Rennes. Sur un autre projet, les employés municipaux ont d’ailleurs participé au suivi des papillons(6). Une discussion est en cours sur la compensation écologique pour la seconde ligne de métro, en chantier, afin de créer des habitats pour les chauves-souris. « Les préoccupations de la ville rejoignent nos problématiques, souligne la chercheuse. Il y a une convergence entre la demande sociale de nature en ville, les obligations légales et nos recherches. »

Pour Philippe Clergeau, spécialiste de la nature en ville, « Les trames vertes, qui commencent à être intégrées dans les plans locaux d’urbanisme, permettent aux villes d’avoir un fonctionnement écologique global. » La fin des gouvernances opposées entre la ville et la campagne, avec l’intégration du périurbain dans les métropoles, est un atout pour la biodiversité : « La métropolisation et les plans d’urbanisme intercommunaux ne prennent pas seulement en compte les cœurs de villes et de bourgs, mais tout le tissu urbain. Nous comprenons enfin qu’il y a des espaces indispensables à la survie de la biodiversité et de la ville ! Elle ne peut plus être séparée de la campagne. La ville doit être durable, dans son contexte géographique et écologique. »

Favoriser la nature en ville, c’est aussi l’objectif du projet européen Nature4Cities (N4C) à Nantes. La responsable scientifique est la chercheuse Marjorie Musy, directrice de recherche au Cerema. Cet organisme de recherche est l’un des six qui participent au projet, aux côtés de quatre universités, dont celles de Nantes et Agrocampus Ouest.

Solutions basées sur la nature

« Le concept de “Nature based solutions” est une notion élargie, explique-t-elle. Les études sur les trames vertes s’intéressent surtout à la biodiversité, aux déplacements d’espèces et à l’observation des services que rend la nature. Avec ce nouveau concept opérationnel, défini à l’échelle de l’Europe, nous cherchons des solutions à plusieurs problèmes environnementaux créés par l’homme. » Onze grandes familles d’enjeux urbains ont été identifiées. « La biodiversité en est un, comme la qualité du sol ou la santé. »

Commencé il y a 18 mois, le projet N4C donnera lieu à un premier compte-rendu ce mois-ci à Bruxelles. « Nous avons d’abord appliqué les concepts théoriques des Nature based solutions au contexte urbain. Cela n’avait pas été fait. Puis nous avons créé une typologie de ces solutions. » Celles-ci, low cost et écologiques, sont des “solutions vivantes” très variées. « Cela peut être un objet technique, comme une toiture végétale ou un talus planté avec certaines méthodes pour éviter l’érosion des sols. Ou encore un parc dans son entier, un arbre isolé. Une solution basée sur la nature peut aussi correspondre à une stratégie, par exemple la mise en place, dans un plan local d’urbanisme, d’un certain nombre d’arbres de haute tige par tant de mètres carrés. »

Spécialistes du génie civil, géographes, architectes ou paysagistes... des chercheurs d’horizons différents collaborent à ce projet. Marjorie Musy a aussi associé à cette recherche Ghozlane Fleury(7), professeur en psychologie environnementale à Nantes.

« Il ne suffit pas de savoir ce que la nature apporte et coûte, en termes financiers, poursuit Marjorie Musy. Sur la base d’enquêtes auprès des citadins, nous voulons obtenir une échelle de la qualité de vie perçue en ville, en lien avec la nature. »

La faune sauvage entre à Hennebont

La biodiversité urbaine concerne toutes les villes. À Hennebont (photo), dans l’agglomération de Lorient, une initiative citoyenne est en cours pour mieux connaître la biodiversité locale. Un inventaire naturaliste (oiseaux, mammifères, amphibiens, reptiles, flore) a commencé cette année, en collaboration avec le Haras national d’Hennebont.

La vallée du Blavet (en bas) est l’un des grands corridors écologiques de Bretagne. Le parc naturel du haras (23 hectares) établit une connexion naturelle entre cette vallée et la ville (basilique et centre historique, à droite). Les naturalistes ont découvert que de nombreux oiseaux, notamment le rare pigeon colombin, la chouette hulotte et le faucon crécerelle, nichent dans cet écosystème. La gestion y est durable et des arbres ont plus de deux siècles.

Le mur du haras, qui longe le Blavet, est riche en plantes. Le lézard des murailles, très abondant, l’utilise pour venir en ville. Le mur est son corridor écologique. Depuis le parc, les chevreuils s’approchent des habitations. D’autres mammifères viennent au centre-ville, où ils ne posent pas de problème. Le renard passe inaperçu. Même le blaireau a été observé !

Jean-Pierre Ferrand
tél. 02 97 85 05 94
jpierre.ferrand@wanadoo.fr
Nicolas Guillas et Maryse Chabalier

(1) LETG (Littoral, environnement, télédétection, géomatique), CNRS, École pratique des hautes études, universités Rennes 2, d’Angers, de Bretagne Occidentale, de Caen et de Nantes.
(2) Avec Vincent Devictor, de l’Institut des sciences de l’évolution, à Montpellier.
(3) Validation de la fonctionnalité des corridors biologiques en milieu urbain et périurbain.
(4) Lire Les escargots sont dans la ville, Sciences Ouest n° 364, septembre 2018.
(5) CNRS, Université de Rennes 1.
(6) Suivi Propage, protocole mis en place par le Muséum national d’histoire naturelle et coordonné à Rennes par Benjamin Bergerot, du laboratoire Écobio.
(7) Directrice du laboratoire de psychologie des Pays de la Loire.

Philippe Clergeau
philippe.clergeau@mnhn.fr

Solène Croci
tél. 02 99 14 18 55
solene.croci@univ-rennes2.fr

Laurent Godet
tél. 02 53 48 76 54
laurent.Godet@univ-nantes.fr

Marjorie Musy
tél. 02 40 12 84 92
marjorie.musy@cerema.fr

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