Les microalgues comme passion
À Brest, deux femmes se sont alliées pour favoriser le potentiel alimentaire des microalgues, trop vite cataloguées.
Elles sont issues d’horizons différents, mais leur volonté de valoriser les microalgues dans l’alimentation les a tout de suite rapprochées. D’un côté, Aurélie Giboureau, chercheuse, a étudié pendant douze ans la physiologie et le métabolisme des microalgues, d’abord lors d’une thèse en cotutelle entre l’Ubo de Brest et l’Université New South Wales à Sydney (Australie), puis au cours de plusieurs contrats de post-doctorat au sein de L’Unsw(1) (Sydney) et du Lemar(2) à l’Institut universitaire européen de la mer (Iuem)(3), à Brest. « Mais le système ne me convenait plus, témoigne-t-elle, j’avais envie d’évoluer, tout en continuant à faire des recherches autour des microalgues, qui me passionnent. Je m’intéresse depuis plusieurs années à ce que nous mangeons et à la manière dont les aliments agissent sur notre corps, étant moi-même intolérante au lactose et ayant dans ma famille des personnes intolérantes au gluten ou atteintes de la maladie de Crohn. »
De l’autre, Anne Guerer, commerciale et conseillère culinaire. « Je faisais du conseil auprès de la restauration hors foyer (collectivités, restaurateurs). Je mettais en avant les innovations culinaires et notamment les algues mises sur le marché par les industriels. J’ai eu envie de passer de l’autre côté de la barrière et de créer des produits à forts potentiels nutritionnels, bons pour la santé», raconte-t-elle. Elle effectue donc un master Alimentation, droit, nutrition, santé à la Faculté de médecine et l’Ésiab(4). « Lors de mon stage de fin d’études, j’ai découvert toute la richesse nutritive des microalgues. Il y a une forte demande d’alternatives, avec notamment la montée du vegan et du bio, les microalgues ont beaucoup de potentiel. »
Une création semée d’obstacles
Les deux femmes font connaissance en 2015, lors d’un atelier organisé pour le compte de Pôle emploi. L’idée de créer leur entreprise leur est soufflée en juin 2016 par Françoise Duprat, alors en charge de l’entrepreneuriat au Technopôle Brest-Iroise(5). Les futures entrepreneuses se mettent à rechercher des financements. Elles se heurtent alors à de nombreux obstacles. Tout d’abord de la part du milieu des microalgues, où on leur répond qu’il n’y a rien de nouveau à faire dans ce domaine. « Nous avons aussi eu des réactions très négatives dues au fait que nous étions deux femmes à vouloir monter une entreprise dans le domaine de l’innovation », témoignent-elles. Enfin, les assureurs sont réticents à s’engager sur un projet d’innovation alimentaire. Pourtant elles persévèrent, convaincues que la consommation de micro-algues ne doit pas être cantonnée aux compléments alimentaires, en poudre ou en gélules, que l’on connaît actuellement.
Préserver toutes les qualités
Les microalgues ont en effet de nombreuses qualités pour entrer dans nos menus : riches en protéines et en vitamines B6 et B9, contenant plus de fer assimilable que les compléments médicaux et ayant d’excellentes propriétés antioxydantes... Seul inconvénient : leur goût et leur odeur en rebutent plus d’un ! « La majorité de la spiruline, la microalgue la plus connue, commercialisée en France vient d’Asie et d’Amérique du Sud, explique Aurélie Giboureau. Non seulement il est difficile de tracer leur provenance, mais, en plus, les conditions de production ne sont pas optimales, ce qui est à l’origine de leur mauvaise odeur. Elle est de mauvaise qualité et n’offre pas tous les bénéfices nutritionnels annoncés. » Et s’il existe beaucoup de produits alimentaires contenant de la spiruline, les qualités nutritionnelles sont pour la plupart d’entre eux généralement perdues, lors des procédés de cuisson. « Pour conserver les propriétés des microalgues, il faut faire attention à la température, la lumière et l’interaction avec le solvant servant à extraire les molécules d’intérêt. »
La start-up AlgaeNutri voit finalement le jour en janvier dernier. Installées dans la pépinière d’entreprises du technopôle, les deux cheffes d’entreprise bénéficient du soutien financier de l’incubateur Emergys. Elles collaborent également avec le Lemar au sein de l’Iuem à Plouzané qui leur met à disposition un local et des instruments pour tester leurs procédés de fabrication.
De la spiruline en bouteille
Deux produits sont sur les rails. Une boisson à base de spiruline, destinée à la vente dans les centres de thalassothérapie et en (para)pharmacie, devrait être commercialisée en décembre. Pour l’instant, elle est encore couverte par le secret industriel. Tout juste apprend-on qu’« elle sera antioxydante mais pas que... » Une gamme de produits solides pour sportifs est en cours d’étude. « Elle sera déclinée en fonction des besoins spécifiques de l’organisme avant, après, voire pendant l’effort. » Affaire à suivre...
(1) L’université de Nouvelle-Galles du Sud.
(2) Laboratoire des sciences de l’environnement marin.
(3) Cnrs/Institut de recherche et développement/ Université de Bretagne Occidentale/Université Bretage Sud.
(4) École supérieure d’ingénieurs en agroalimentaire de Bretagne Atlantique.
(5) Désormais directrice du Technopôle Brest-Iroise.
AlgaeNutri
tél. 02 98 05 70 25
contact@algaenutri.com
TOUT LE DOSSIER
du magazine Sciences Ouest