Les marées donnent le rythme
Les marées ne sont pas qu’un phénomène de surface, leur influence se fait sentir jusqu’au fond des océans.
Nous sommes familiers du cycle d’environ douze heures, qui couvre et découvre les plages. On se doute moins qu’à 2000 m de profondeur, les animaux suivent également ce rythme. Encore récemment, cette idée était impensable : « Il y a dix ans, lorsque j’avais suggéré lors d’un colloque que les animaux des écosystèmes des fonds marins puissent être influencés par les marées, l’audience était restée sceptique ! », se souvient Marjolaine Matabos, chercheuse au Laboratoire environnement profond de l’Ifremer à Brest. Pourtant, l’équipe dont elle fait partie a désormais la preuve de cette dépendance, grâce à des caméras installées près de sites hydrothermaux dans le Pacifique et l’Atlantique(1). Sa dernière étude en date sur le sujet a été publiée au début d’avril. Elle est le fruit de l’analyse d’images prises pendant un an, de 2013 à 2014, près d’une source hydrothermale au large de la côte ouest du Canada(2). « Nous avons remarqué que les pycnogonides, de petites araignées de mer, et les polychètes polynoïdés, une espèce de ver mobile à écailles, étaient visibles selon différents cycles, dont un d’environ douze heures », explique Yann Lelièvre, doctorant qui a travaillé sur le sujet.
Cache-cache dans le buisson
« Nous avons dénombré les espèces ayant une taille suffisante pour être distinguables. Parmi elles, les petites araignées et les vers à écailles étaient assez abondants pour pouvoir obtenir une tendance statistique », détaille le doctorant. Le cycle de douze heures correspond à celui des courants de marées. Lorsqu’ils ne sont pas visibles par les caméras, les animaux sont cachés dans un buisson de tubes construits par des vers. « Notre hypothèse est que ce buisson de vers tubicoles est baigné par un fluide hydrothermal chaud et pauvre en oxygène. Les courants balayeraient ce fluide et apporteraient de l’oxygène. » En présence de ces courants, les conditions seraient assez bonnes pour permettre aux animaux de se réfugier dans le buisson. Sans courant, la concentration du fluide à l’intérieur du buisson les obligerait à sortir de leur cachette. Ce n’est cependant qu’une hypothèse parmi d’autres, car peu de choses sont connues sur ces habitants des fonds marins : ils pourraient aussi fuir la toxicité du fluide ou être attirés par des apports en nourriture.
Avis de tempête
Si c’est la première fois que l’influence des marées à cette profondeur est montrée sur des organismes mobiles, l’équipe avait déjà découvert qu’elles régulaient la vie des animaux fixes. Le rythme de celles-ci détermine en effet la sortie et l’entrée des vers de leur tube, ainsi que l’activité des moules. « Ce résultat était plus attendu, indique Jozée Sarrazin responsable de l’équipe, car ces animaux fixes dépendent directement du fluide hydrothermal pour trouver ce dont ils ont besoin, via des bactéries avec lesquelles ils vivent en symbiose. Dans le cas de notre nouvelle étude, cette dépendance est moins directe. » Cette dernière étude a aussi mis en évidence l’influence des tempêtes, un phénomène encore inédit. « Nous avons repéré des cycles de quatre jours et de seize heures, uniquement pendant la période hivernale, explique la chercheuse. Ces rythmes correspondent à ceux des tempêtes de surface, qui mettent en mouvement les masses d’eau jusque dans les profondeurs océaniques. » Une observation qui fait craindre aux chercheurs que le changement climatique affecte plus que prévu les organismes des fonds marins, puisque la fréquence des tempêtes devrait augmenter sous son influence.
(1) Lire dossier Cap sur le volcan, Sciences Ouest n° 326-décembre 2014.
(2) Les comptages sont encore en cours, lire Un jeu pour aider les chercheurs, Sciences Ouest n° 350-mars 2017.
Yann Lelièvre
yann.lelievre@ifremer.fr
Marjolaine Matabos
marjolaine.matabos@ifremer.fr
Jozée Sarrazin
tél. 02 98 22 43 29
jozee.sarrazin@ifremer.fr
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