Les enfants exposés aux insecticides

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N° 353 - Publié le 23 juin 2017
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Les enfants sont touchés par les insecticides via la nourriture. Mais l'utilisation de ces produits à la maison, au jardin et dans les champs proches est aussi néfaste pour eux.

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Santé Une étude montre que l’exposition des jeunes Bretons aux insecticides est d’abord liée à leur alimentation.

Les chercheurs savaient déjà que les insecticides perturbent le développement cognitif de l’enfant(1). Mais comment les enfants sont-ils exposés à ces produits ? À Rennes, Cécile Chevrier, chercheuse en épidémiologie à l’Inserm(2), Philippe Glorennec, spécialiste de l’expologie et de l’évaluation des risques à l’Ehesp(3) et d’autres scientifiques de l’Irset(4) ont mené une étude pour le savoir, publiée dans le dernier numéro de la revue Environment International(5).

Ces spécialistes ont étudié comment 245 enfants âgés de six ans, vivant en ville ou à la campagne en Bretagne, sont exposés aux pyréthrinoïdes. Ces insecticides sont souvent utilisés dans l’agriculture, ou à la maison et dans le jardin. L’étude consistait à détecter, dans les urines des enfants, les traces de cinq métabolites issus de la dégradation par l’organisme d’une dizaine de pyréthrinoïdes.

Les chercheurs ont aussi analysé les poussières dans les maisons où vivent les enfants. Ils ont étudié, grâce à un grand questionnaire rempli par les parents, les habitudes alimentaires des enfants et les pratiques de ménage à la maison. Toutes ces données ont été couplées avec des informations géographiques, notamment la surface des cultures agricoles (colza, vergers, céréales(6), légumes, fleurs, pois) dans un rayon de 500 m autour de la maison et de l’école. Cette étude originale associe ainsi l’évaluation des risques, l’épidémiologie, la géographie, la chimie et les statistiques.

Premier résultat : les enfants sont bien exposés. L’un des cinq résidus d’insecticides a même été détecté dans 95 % des échantillons d’urines. Le moins détecté est présent chez 16 % des enfants. D’où viennent tous ces produits ?

Habitudes alimentaires

« L’alimentation semble jouer un rôle important dans l’exposition », résume Philippe Glorennec. Les enfants qui mangent tous les jours des pâtes, du riz ou de la semoule(7) sont exposés à deux des cinq métabolites. La consommation élevée de céréales au petit déjeuner et de pain complet augmente la proportion d’un autre métabolite.

Les enfants qui mangent souvent de la nourriture issue de l’agriculture biologique voient leurs taux de deux métabolites diminuer. Ces métabolites correspondent à quatre pesticides(8). Par contre, concernant les fruits, légumes et céréales bio mangés par leurs enfants(9), ceux qui en consomment davantage ont paradoxalement plus de traces d’un troisième métabolite ! « Ce dernier point va dans le sens opposé à ce qui était attendu, note Philippe Glorennec. Ces résultats-là sont signifiants, mais pas cohérents. Il faut être prudent dans leur interprétation. Quelque chose mérite d’être creusé. »

À côté des champs

L’étude montre qu’il y a aussi un lien entre les cultures proches de chez l’enfant, et son exposition aux insecticides. Le jeune qui vit à côté de champs de céréales(10) a une concentration plus élevée, en moyenne, pour l’un des métabolites. Les données géographiques ont été mises en perspective avec des informations recueillies auprès des conseillers des Chambres d’agriculture. « Mais nous n’avons pas de données d’utilisation des pyréthrinoïdes, parcelle par parcelle, regrette Philippe Glorennec. Ces données n’existent pas encore. » Les auteurs de l’étude notent que ce manque constitue l’une des limites de leur enquête.

Le lien entre la présence d’insecticides dans la poussière des maisons, et les surfaces agricoles à proximité, est établi : « Il y a cinq à six fois plus de risque de détecter dans les maisons de la tétraméthrine, l’un des pyréthrinoïdes, près des champs de céréales. » Mais le chercheur note par ailleurs que « l’association entre les molécules dans la poussière et les métabolites dans les urines n’est pas probant. Nous avons testé onze de ces associations possibles, seules trois sont positives. » Quant aux insecticides utilisés à la maison, « quatre des cinq molécules étudiées sont retrouvées dans les poussières. Ce sont des résultats très cohérents. » Au final, qu’ils proviennent des champs d’à côté ou de produits ménagers, ces produits contaminent l’habitat : l’un d’eux a même été retrouvé dans tous les logements.

« La limite de notre étude est de mesurer l’exposition à travers les urines. Elles nous indiquent à quoi l’enfant est exposé uniquement dans les heures qui précédent le prélèvement. » Les pyréthrinoïdes, qui se dégradent vite, sont difficiles à mesurer dans le sang avec les techniques actuelles. « Ce prélèvement, réalisé à un moment donné, n’est pas forcément représentatif de l’exposition habituelle ou chronique aux pesticides. » Des analyses régulières d’urine, ainsi qu’une connaissance précise des insecticides utilisés dans les champs permettraient de dépasser ces limites.

Aller plus loin

Une autre étude permettrait d’aller encore plus loin. « Nous pourrions étudier les bénéfices d’une réduction des usages des pesticides, conclut Philippe Glorennec. En conseillant aux gens d’en utiliser moins et de consommer davantage d’aliments bio, nous étudions si les concentrations de métabolites diminuent. » Reste aux chercheurs à trouver des financements pour une telle étude d’intervention.

Nicolas Guillas

(1) D’après une étude réalisée en 2015 par plusieurs chercheurs, dont les Rennais Cécile Chevrier (Inserm) et Jean-François Viel (CHU).
(2) Institut national de la santé et de la recherche médicale.
(3) École des hautes études en santé publique.
(4) Institut de recherche en santé, environnement et travail.
(5) Determinants of children’s exposure to pyrethroid insecticides in western France.
(6) Sauf le maïs, qui n’est pas traité par ces types d’insecticides.
(7) À la différence de ceux qui en mangent moins de quatre fois par semaine.
(8) Cyfluthrin, Cypermethrin, Permethrin et Deltamethrin.
(9) 11 % des enfants mangent chaque jour des fruits, des végétaux ou des céréales bio. (10)88 % des enfants de l’étude vivent à moins de 500 m d’un champ cultivé.

Philippe Glorennec
tél. 02 99 02 26 80
philippe.glorennec@ehesp.fr

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