«L’histoire permet de relativiser les préconçus sur l’alcoolisme.»
Portrait
« Je m’intéresse à l’histoire de l’alcoolisme depuis mon service militaire où, dans une infirmerie, j’ai pu constater les effets de l’alcoolisation massive. En me penchant sur le sujet, je suis tombé sur des sources discordantes : d’un côté des écrits témoignant de l’ivrognerie des Bretons depuis des décennies, de l’autre des témoignages ou des statistiques qui montraient qu’ils ne consommaient pas davantage que la moyenne vers 1850. Je me suis interrogé sur cet écart. L’histoire permet de relativiser les préconçus. Par exemple, le stéréotype du Breton alcoolique est lié au 19e siècle et aux manières de boire dans la région. L’ivresse en basse Bretagne était un phénomène épisodique, pendant les fêtes, les pardons ou les marchés, alors que la consommation régulière était faible. De plus, les bas Bretons préféraient les alcools forts, dans un souci d’économie. Ils rentraient donc en plein dans la définition de l’alcoolisme de l’époque, qui considérait que celui-ci était dû aux spiritueux et que, au contraire, le vin en protégeait. De même, à propos de l’alcoolisation des jeunes, on oublie que, jusqu’à une époque récente, on donnait à boire du vin ou du cidre aux enfants et que l’ébriété était fréquente à l’occasion de rites de passage, comme la communion solennelle, ou lors des bals. Dans un ouvrage (1) que j’ai codirigé, nous avons inséré un texte intitulé Galerie de buveurs : les étudiants et l’alcool, qui décrit comment “ces jeunes gens boivent sec” après leur journée d’études. Ce texte date de... 1903 ! Il ne s’agit pas de dire que le risque n’existe pas ou n’évolue pas, mais de prendre de la distance. »
(1) Boire : une affaire de sexe et d’âge, Marie-Laure Déroff et Thierry Fillaut, Presses de l’Ehesp, 2016.
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du magazine Sciences Ouest