Ces bactéries qui résistent
Face aux antibiotiques, les bactéries évoluent sans cesse. L’Anses(1) suit cette course chez l’animal. Pour la freiner !
L’Europe est entrée en contre-résistance. Chaque État de l’Union surveille aujourd’hui de près la résistance des bactéries aux antibiotiques. Il y a urgence. Selon le rapport de l’économiste britannique Jim O’Neill, qui a fait grand bruit l’an dernier, la première cause de mortalité humaine en 2050 pourrait être due à des germes résistant aux antibiotiques. Si nous continuons à les surconsommer, et si nous ne les réduisons pas dans l’élevage, nous risquons de ne plus pouvoir soigner nos infections bactériennes courantes.
En France, l’Anses monte la garde. « Nous étudions l’évolution de la résistance aux antibiotiques chez des souches bactériennes d’origine animale, et les moyens mis en place par les pouvoirs publics pour diminuer cette résistance », résume Agnès Perrin-Guyomard, ingénieur d’études à l’Anses à Fougères. Les bactéries sont prélevées sur des animaux d’élevage, comme le poulet, la dinde, le porc et le veau. Mais l’espèce humaine est directement concernée. « Il n’y a pas de frontières entre l’animal et l’homme, il n’y a pas de frontières entre les bactéries : elles circulent. »
Trois types de bactéries sont surveillées : les salmonelles, présentes chez les animaux et pathogènes chez l’homme, Escherichia coli qui vit dans l’intestin de l’homme et des animaux, et le Campylobacter. Le laboratoire reçoit annuellement des centaines d’isolats. Un isolat est une colonie de millions de bactéries : elles appartiennent à la même espèce, mais leurs codes génétiques diffèrent. Conservés à - 80 °, ces isolats sont envoyés à l’Anses par des laboratoires qui les prélèvent dans des intestins et sur les carcasses d’animaux à l’abattoir, ou sur la viande dans la moyenne et grande distribution.
Les bactéries sont prélevées sur des animaux d'élevage en bonne santé.Les bactéries sont prélevées sur des animaux d'élevage en bonne santé.
Les scientifiques utilisent des milieux de culture différents selon les bactéries et les résistances à tester. Les bactéries poussent sur les milieux de culture sans antibiotiques ou quand elles sont (devenues) résistantes à l'antibiotique en question (boîte de gauche : présence de salmonelle). Quand les bactéries ne poussent pas (boîte de droite : absence de salmonelle), cela veut dire qu'elles sont (toujours) sensibles à l'antibiotique utilisé.
Le risque de transfert chez l’homme
Ces colonies de bactéries sont mises en contact chaque année avec quatorze molécules, qui appartiennent à neuf familles d’antibiotiques. « Nous caractérisons le mécanisme qui permet à la bactérie de devenir résistante, complète Jean-Yves Madec, responsable du pôle Antibiorésistance de l’Anses, à Lyon. Quels sont les gènes, qui n’existent pas dans une bactérie sensible, qui font que celle-ci résiste à un ou plusieurs antibiotiques ? Cela nous permet d’analyser le risque de transfert chez l’homme. »
Sur la dernière période étudiée par l’Anses (2009-2015), les résultats sont encourageants. En 2009, seulement 12 % des souches d’E. coli prélevées dans le porc étaient tuées par tous les antibiotiques. En 2015, ce taux est remonté à 33 % de souches sensibles aux mêmes antibiotiques. Mais la résistance continue parfois de croître : des bactéries chez le porc augmentent leur taux de survie, face à une classe d’antibactériens (fluoroquinolones).
« Depuis quelques années, nous constatons une baisse de la résistance aux antibiotiques des bactéries présentes chez l’animal, en lien avec une meilleure maîtrise de leurs usages », note Jean-Yves Madec. Ces résultats positifs sont liés à la baisse de l’usage des antibiotiques par les vétérinaires. L’Agence nationale du médicament vétérinaire a chiffré les ventes d’antibiotiques pour les animaux à 650 tonnes en 2015, soit une baisse de 28,4 % par rapport à 2011.
L’antibiotique et la bactérie
Les antibiotiques sont regroupés en dix grandes familles, dont chacune a sa formule chimique. Certains sont naturels, issus des organismes du sol, d’autres sont entièrement synthétisés. Certaines molécules sont très grandes, d’autres minuscules. Leurs attaques sont variées : certaines percent l’enveloppe de la bactérie, qui finit par éclater, d’autres modifient leur matériel génétique pour qu’elles ne se multiplient plus. Sauf exception, souvent pour cause de toxicité chez l’homme, les mêmes antibiotiques sont utilisés pour nous et les animaux.
Les gènes de résistance préexistaient à l’utilisation des antibiotiques par l’homme. Ainsi des bactéries découvertes dans les glaces polaires et vieilles de plus de 30000 ans portaient des gènes de résistance aux principaux antibiotiques utilisés aujourd’hui. Mais ces médicaments ont commencé à être utilisés massivement après la Seconde Guerre mondiale et la résistance s’est développée très vite dès les années 50.
Pour la contrer, l’industrie a mis au point de nouveaux antibiotiques, toujours plus nombreux. Plus ils ont été utilisés, plus des souches résistantes de bactéries ont émergé par sélection naturelle. Aujourd’hui, certaines souches bactériennes sont même devenues résistantes à presque tous les antibiotiques !
En 2015, des bactéries ont même transféré entre elles un gène qui leur permet de résister à la colistine, un antibiotique utilisé surtout par les vétérinaires. Rien ne les arrête !
(1) Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
Agnès Perrin-Guyomard, agnes.perrin-guyomard@anses.fr
Jean-Yves Madec, jean-yves.madec@anses.fr
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