Immerger pour mieux raconter

N° 348 - Publié le 13 janvier 2017
PAM 3D Lab
L’image 3D que parcourt l’expérimentateur est générée par le programme informatique et s’adapte aux mouvements du corps et des yeux grâce aux capteurs et caméras.

Des chercheurs brestois reconstruisent en réalité virtuelle des ouvrages portuaires d’intérêt historique qui n’existent plus.

«Vous n’avez pas le vertige ? », s’assure Frédéric Devillers, l’informaticien auprès de la personne qui se balade sur l’ancien pont de Brest (1861-1944). Casque sur la tête, l’expérimentateur se déplace sur l’ouvrage, qui n’existe plus à ce jour, ou aux abords, admire le point de vue sur le château de Brest, regarde des hommes tourner un cabestan pour actionner le pont tournant. Il peut même se mettre à la manœuvre lui-même. L’immersion en réalité virtuelle à 360 degrés restitue l’ouvrage dans son environnement et pourra s’appliquer plus tard in situ et en réalité augmentée.

 

Modélisation en 3D et en mouvement

Cette restitution du pont a été effectuée à Brest par des chercheurs du Cerv(1), du Labstic(2) et du Centre François-Viète(3) réunis au sein du consortium PAM 3D Lab(4). Cette modélisation 3D en réalité virtuelle (RV) a pour objectifs de donner à voir dans le paysage actuel l’ouvrage qui n’existe plus et de permettre de le comprendre d’un point de vue historique et technique. Elle est bien sûr présentée au public à différentes occasions. Et, au-delà d’être un formidable outil de médiation, c’est aussi un objet de recherche qui s’inscrit dans le domaine des humanités numériques en tant que modélisation des connaissances. « Permettre d’entrer dans cet espace virtuel, de le visiter et d’agir dessus (faire tourner le cabestan) est une autre façon d’écrire l’histoire à partir de nos sources », commente Sylvain Laubé, historien au laboratoire d’histoire des sciences et techniques du centre François-Viète et pilote du projet avec Ronan Querrec, directeur du Cerv.

 

En Bretagne, en Argentine et à Venise

Le chercheur travaille sur l’histoire de paysages culturels industriels. À ce titre, pour lui, Brest représente un bel exemple d’un paysage exceptionnel mal connu car détruit en 1944. Avec son équipe, il détermine des indicateurs caractéristiques, c’est-à-dire des ouvrages représentatifs et d’intérêt comme le pont mobile, mais aussi les grues, les forges, les formes de constructions, les quais... Ils vont alors chercher dans les archives les informations qui leur permettront de comprendre le besoin initial (faire traverser des personnes...), les options envisagées (tunnel, pont fixe, pont à arche haute pour laisser passer les bateaux à voile...), la réalisation (matériaux et technologies retenues, caractéristiques de l’innovation de l’époque), l’usage et l’évolution dans le temps. Les chercheurs vont jusqu’à comparer ces ouvrages avec d’autres similaires à Venise, en Argentine et au Chili. L’intérêt consiste à comparer des macrosystèmes industriels tels que les ports et les arsenaux.

Ainsi, le pont de Recouvrance constituait le premier pont tournant aussi long (170 m) de son époque, fabriqué en tôle et en fer et non plus en fonte. Ce savoir-faire avait d’ailleurs été présenté aux Expositions universelles de Londres en 1862 et de Paris en 1867.

« C’est ça aussi qui nous intéresse, souligne Sylvain Laubé. Ces ouvrages sont porteurs d’innovations et de savoirs nouveaux. Nous espérons que les méthodologies de conservation et de valorisation du patrimoine maritime et industriel que nous développons serviront par la suite aux acteurs du patrimoine, à des étudiants ou à des start-up. »

Dans cette logique de partage de connaissances, Sylvain Laubé travaille aussi avec Serge Garlatti, chercheur au Labstic et son équipe sur le Web sémantique, qui s’inscrit également dans le registre des humanités numériques. Compte tenu de la multiplicité des données désormais disponibles en ligne, il s’agit ici de « produire de nouvelles bibliothèques numériques pour la recherche et la valorisation du patrimoine à partir de celles déjà existantes », de manière “intelligente” en modélisant les concepts et les méthodes des historiens.

Michèle Le Goff

(1) Centre européen de réalité virtuelle.
(2) Laboratoire des sciences et des technologies de l’information et de la communication.
(3) Centre François-Viète d'épistémologie et d'histoire des sciences et des techniques.
(4) Patrimoine(s), artefact(s) et médiations 3D Lab.

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