Les nouveaux bâtisseurs de la terre

N° 345 - Publié le 19 octobre 2016

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Des acteurs de l’innovation dans l’habitat, des sociologues aux architectes, réinventent le mur en terre.

Des bâtiments en terre pourraient bientôt pousser dans notre région. L’Institut d’aménagement et d’urbanisme de Rennes (IAUR)(1) avait lancé en janvier 2016 un Appel à manifestations d’intérêt (AMI). L’objectif est d’innover en construisant des bâtiments aux murs en terre crue. L’appel a été largement entendu. « Nous avons reçu 25 réponses de chercheurs ! Nous avons suscité beaucoup d'intérêt, se félicite le sociologue Gilbert Gaultier, directeur de l’IAUR. La réunion de lancement, en avril dernier, a réuni 60 participants au programme de recherche. »

Pendant trois ans, des chercheurs en matériaux de plusieurs laboratoires (notamment le LGCGM(2) à Rennes, l’IRDL à Lorient et l’Ifsttar(3) à Nantes) et en sciences humaines et sociales (Eso(4), Cerhio(5), Crape(6) à l’IEP de Rennes) se creusent les méninges avec des architectes, des urbanistes, des collectivités locales et leurs habitants, et même des artistes, pour bâtir un projet innovant, avec de la simple terre. Les constructions démarreront au début de 2019.

Gros plan sur le bardage en roseaux de la maison de Saint-Nolf (Morbihan),
qui a bénéficié de l'expertise du pôle de compétences lorientais. Efficacité énergétique
(Effipôle). Le principe de cette isolation rappelle les chaumières, excepté qu'ici les
roseaux sont fixés sur une paroi verticale.
FRED PIEAU

 

 

L'un des bâtiments, entièrement en terre, le plus original de l'Ouest est à
Périers (Manche). Ce bâtiment public sans étage abrite le siège
d'une communauté de communes.
ANDRÉ SAUVAGE

 

 

 

L'architecte rennais et afghan Ashmat Froz participe au projet de l'IAUR.
Ces deux photos montrent ses réalisations en terre, à Kaboul. En
Afghanistan, où 90 % des logements sont en terre, notamment
avec deux étages, un centre de recherche appliquée est dédié à
l'architecture en terre.
ASHMAT FROZ

 

 

Construire un mur porteur

« Ce projet est né d’une convergence d’intérêts, explique Solenn Follézou, responsable du projet à l’IAUR. Un collectif d’architectes, en lien avec l'association Acroterre, avait une préoccupation : construire un mur porteur en terre. Ils avaient réalisé des expériences, mais rencontraient des difficultés techniques et juridiques. Acroterre, de son côté, cherchait à promouvoir ce matériau. »

Il existe de très nombreuses constructions en terre en Bretagne, notamment dans le bassin rennais. Mais ce sont des poutres qui supportent l’édifice. Les murs porteurs en terre, dans une maison d’au moins un étage, n’existent pas encore. « La terre ne fait pas partie de la liste des Documents techniques unifiés (DTU) du bâtiment, explique Gilbert Gaultier. Elle doit être adjointe avec des poutres en acier ou en bois. »

Dans ce défi multiforme, la question de la portance (ou capacité d’un matériau à supporter une structure) est centrale. Les chercheurs doivent d’abord créer un matériau, léger et résistant, en ajoutant à la terre des adjuvants biosourcés : des roseaux, des algues, de la paille, du bois déchiqueté... Avant cela, le chercheur Erwan Hamard, de l’Ifsttar, avait déjà passé au crible les méthodes traditionnelles de construction en terre pour s’en inspirer. Les premiers échantillons de ce nouveau matériau devraient être prêts en 2017.

« La terre est un matériau sain écologiquement, poursuit Gilbert Gaultier. Elle peut être retravaillée et recyclée, pour faire une autre maison. Le béton n’a pas cette durabilité. La terre est intéressante d’un point de vue acoustique, et c’est un excellent matériau pour l’isolation thermique. » La capacité thermique de la terre est étudiée dans le cadre de l’AMI, ainsi que son inertie (sa capacité à rester frais quand il fait chaud et inversement). Des chercheurs du consortium s’intéressent à la qualité de l’air, entre des murs en terre. D’autres aux habitants : sommes-nous prêts à vivre dans des maisons en terre ? Quant à l’impact d’un logement en terre sur la santé des habitants, des chercheurs de l’Ehesp(8) vont l’étudier.

L’inventaire des stocks de terre

Les questions juridiques sont aussi abordées. Quelle est la réglementation sur les constructions en terre, comment analyser leur cycle de vie, et peuvent-elle être assurées comme les autres constructions ? Rien n’est gagné. Et la terre, d’où vient-elle ? « Il existe déjà un grand volume de terre stockée et inutilisée », explique Solenn Follézou. Cela tombe bien : le sable se raréfie à l’échelle mondiale, et son exploitation locale est source de conflits. « Nous commençons l’inventaire des stocks de terre sur le bassin rennais », complète Gilbert Gaultier.

« L’une des premières finalités de l’AMI est la construction d’un collectif de 30 à 50 logements, poursuit Solenn Follézou. Le bailleur social Néotoa réalisera cet immeuble de deux ou trois étages, pour 15 m de hauteur, avec un matériau biosourcé à base de terre. » Ce bâtiment s’élèvera dans l’agglomération rennaise. Un autre promoteur, la Coop de Construction, réalisera un collectif plus petit. Archipel Habitat construira une maison individuelle en terre, dans le cadre d’un chantier participatif. Quant aux universités de Rennes 1 et Rennes 2, qui interviennent au niveau de la recherche, elles feront bâtir sur leurs campus des kiosques ou des abris à vélos, pour tester ce matériau réinventé. « Nous voulons faire la démonstration que l’on peut le faire ! Et que c’est reproductible », souligne Gilbert Gaultier.

Nicolas Guillas

(1) L’IAUR est un groupement d’intérêt scientifique, qui réunit l’Université Rennes 2, l’École nationale supérieure d’architecture de Bretagne (Ensab), l’IEP de Rennes et l’Insa. L’Université de Rennes 1 a rejoint le groupement en juillet dernier.
(2) Le Laboratoire de génie civil et génie mécanique (LGCGM) regroupe des équipes de l’Insa de Rennes et de l’Université de Rennes 1 (IUT de Rennes et Saint-Malo).
(3) L’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux. (4) Espaces et sociétés, CNRS, Université Rennes 2, Caen, Angers, Nantes et Maine.
(5) Le Centre de recherches historiques de l’Ouest, CNRS, Université Rennes 2, Angers, Maine, UBS. (6) Le Centre de recherches sur l’action politique en Europe, CNRS, Université de Rennes 1, IEP, Ehesp.
(7) École nationale supérieure d’architecture de Bretagne.
(8) École des hautes études en santé publique.

Gilbert Gaultier
tél. 02 23 22 58 60
gilbert.gaultier@univ-rennes2.fr

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