Mais pourquoi se dopent-ils ?

N° 343 - Publié le 23 juin 2016
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Pour limiter le risque d’une nouvelle blessure, certains sportifs finissent par considérer que la décision de se doper est juste.

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À Rennes, des sociologues étudient les raisons qui poussent certains sportifs au dopage et démontent les idées reçues.

« Je ne me doperai jamais ! » Cette forte conviction fait consensus auprès des sportifs professionnels... jusqu’au jour où certains tombent dans le travers. Que se passe-t-il dans leur esprit ? « Les politiques de prévention s’appuient sur l’idée que celui qui se dope a perdu le sens du fair-play, de la moralité, de la santé », dit François Le Yondre, sociologue au laboratoire Violences, identités, politiques et sports (Vips) de l’Université Rennes 2.

Avec son collègue et historien du sport Jean-Nicolas Renaud, il a participé à un projet de recherche(1) initié par l’Agence mondiale antidopage entre 2010 et 2013, pour élucider le mystère. L’étude a fait l’objet d’un rapport rendu à la fin de 2014. Elle portait sur les jeunes sportifs de haut niveau qui ont intégré un centre de formation ou un pôle espoir dans trois disciplines : le cyclisme, l’athlétisme et le basket-ball. « Lors des entretiens, les arguments contre le dopage qu’ils évoquent font appel à différents registres philosophiques, des principes supérieurs que tout le monde partage. Nous en avons identifié quatre », explique François Le Yondre. Chez certains sportifs, la pratique sportive fait partie de leur identité, elle est perçue comme aussi naturelle que de mettre un pied devant l’autre pour marcher, d’autant plus lorsqu’elle fait l’objet d’un héritage familial(2). « Se doper reviendrait à trahir ce qu’ils sont. » D’autres jeunes n’ont tout simplement pas envie de s’abîmer la santé, ou de gâcher leur avenir. Une troisième posture avance plutôt une raison rationnelle. « Certains calculent le rapport coût/bénéfice : risquer de se faire contrôler positif, c’est risquer de tout perdre, à la fois la reconnaissance sportive et l’existence sociale. » Et enfin, il y a ceux qui invoquent une moralité sportive. « Elle peut être liée au mérite, à l’investissement. Le sport est alors perçu comme un idéal d’égalité. Certains nous disent aussi que le dopage salit le cyclisme. Pour eux, le sport et son milieu sont des entités presque divines, qui ordonnent le respect. »

Améliorer la prévention antidopage

En poussant les jeunes sportifs dans leurs retranchements, François Le Yondre et Jean-Nicolas Renaud ont montré que certaines situations peuvent les rendre vulnérables. Une blessure, par exemple, peut conduire le sportif à envisager le dopage de façon positive. Il n’a pas l’impression de rompre avec ses valeurs et justifie la décision de se doper à travers les mêmes quatre principes philosophiques : rester fidèle à lui-même, éviter une aggravation médicale, rétablir une égalité... Les méthodes de prévention anti-dopage, qui se basaient jusqu’ici sur une perception manichéenne du problème, s’avèrent donc aujourd’hui inappropriées. Pour les améliorer, les chercheurs préconisent des actions très concrètes. « Nous avons besoin de temps et de moyens pour intervenir régulièrement et en profondeur auprès des sportifs de haut niveau, initier des discussions avec des professionnels qui sont passés par le dopage, instaurer des cours de sociologie et d’histoire du sport dans les centres de formation et les pôles espoirs pour apporter des nuances aux idées que les jeunes se font de leur discipline avant de devenir pro. Il faudrait aussi former les entraîneurs », précise François Le Yondre. Mais là, une autre question se pose : ont-ils intérêt à sensibiliser leurs joueurs au risque de diminuer leurs performances ? « Je pense que c’est possible de changer les choses car ce n’est pas tant la performance qui fait la beauté du spectacle mais la concurrence. Les tours de France d’hier n’étaient pas moins spectaculaires que ceux d’aujourd’hui ! »

En attendant, la Commission européenne et le Conseil de l’Europe, qui s’intéressent de plus en plus aux comportements transgressifs dans le sport, viennent de lancer, pour une durée de deux ans, un nouveau projet de recherche auquel François Le Yondre participera, avec d’autres chercheurs du laboratoire Vips et en collaboration avec quatre partenaires européens. « On veut déterminer à quels moments et dans quels contextes la vision du sportif s’inverse et favorise la prise de produits. »

Klervi L'Hostis

(1) En collaboration avec l’Université polytechnique de Madrid.

(2) Fait référence à la notion d’habitus du sociologue Pierre Bourdieu.

François Le Yondre
tél. 02 99 14 20 51
francois.leyondre@univ-rennes2.fr

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