Des graines cuites à point !
La société Valorex planche sur la cuisson des grains, une étape cruciale dans l’élaboration des aliments pour animaux.
À Combourtillé, dans un petit village d’Ille-et-Vilaine, l’entreprise Valorex veut apporter sa pierre à l’édifice pour remettre la légumineuse à graines dans le circuit agricole français. Pour cela, il y a plusieurs choses à faire : cultiver plus, cultiver mieux, inventer des procédés de transformation des graines pour les rendre plus digestes. « Les techniques dédiées au soja étant déjà connues et exploitées par les industriels, on concentre nos efforts sur le pois, la féverole et le lupin », précise Guillaume Chesneau, responsable Recherche et Développement chez Valorex. Pour mener à bien son nouveau programme, l’entreprise s’appuie sur quinze ans d’expertise sur le lin. « Aujourd’hui, 10 % des porcs en France se nourrissent des aliments à base de lin que nous avons développés. Nous allons donc suivre la même démarche avec les légumineuses à graines, dans le sillage de la filière Bleu Blanc Cœur. »
Conserver la diversité
Le premier volet du programme concerne la sélection des légumineuses à cultiver. « On vise le maximum de protéines à l’hectare tout en conservant une diversité des variétés de graines, car on s’est rendu compte au fil des décennies que les monocultures appauvrissent les sols. » Les agriculteurs avec qui Valorex contractualise font régulièrement analyser des échantillons au spectromètre infrarouge pour mesurer leur teneur en nutriments d’intérêt. Le résultat ne dépend pas seulement des variétés choisies, mais aussi des conditions agricoles : les dates et les densités des semis et des récoltes, la météo... « Ce feedback permet de réajuster nos méthodes », dit le chercheur.
Des nutriments gonflés
Le deuxième volet du programme est le plus important. Il s’agit d’améliorer la digestibilité des graines par de nouveaux procédés de cuisson. « La pomme de terre crue n’est pas digeste, c’est pour cela qu’il faut la cuire et c’est pareil pour les légumineuses à graines, explique Béatrice Dupont, directrice commerciale de Valorex. Elles contiennent des facteurs antinutritionnels pour résister aux attaques des prédateurs et favoriser leur reproduction dans la nature. Les anciens cuisaient les graines toute la nuit pour les détoxifier. On ne fait qu’améliorer et industrialiser leurs techniques. »
Avant la cuisson, les graines protéagineuses sont mélangées à des graines oléagineuses (le colza ou le lin) pour associer les vertus de chacune et atteindre un équilibre nutritionnel en un seul produit. Le mélange, broyé en poudre, est déposé dans un environnement contrôlé en humidité, température et pression. « Pendant ce temps de maturation, les enzymes endogènes dégradent notamment les composés antinutritionnels et libèrent les nutriments de leur enveloppe », explique Guillaume Chesneau. Puis, la poudre de graines est cuite sous une pression produite par contraintes mécaniques. « Les particules gonflent un peu comme le maïs quand il devient du pop-corn, mais à une échelle plus petite. » Ainsi, les enzymes de digestion, chez l’animal qui ingère le nouvel aliment, bénéficient d’une plus grande surface d’attaque pour découper les nutriments en éléments assimilables par l’organisme. Après séchage et conditionnement, le produit final est un agglomérat de protéines et de lipides sous forme de croquette. « Une graine crue est digeste à 20 %, une croquette obtenue avec nos procédés à 65 %. Au fil du programme, nous chercherons des enzymes exogènes et peut-être des microorganismes de fermentation pour atteindre 90 % de digestibilité. »
De la viande de qualité
Le programme de Valorex, labellisé notamment par le pôle de compétitivité breton Valorial, s’élève à dix-sept millions d’euros sur cinq ans. Réalisé en partenariat avec six centres de recherche Inra en France, il fédère un ensemble d’acteurs qui représentent la filière agricole, de la culture de graines à l’assiette du consommateur. « Notre but est de repenser le modèle agricole en matière de légumineuses car, à l’heure actuelle, il n’est pas encore bien structuré. Pour réussir, il y a trois mots d’ordre : créer des débouchés, coordonner les corps de métier, et développer l’innovation par la recherche scientifique. » Et si les animaux mangent mieux, la répercussion se retrouvera inévitablement dans nos assiettes de viande !
… Des graines pour nous aussi !
Depuis toujours, les légumineuses vont de pair avec les céréales dans les plats typiques de toutes les régions du monde : le chili du Mexique se compose de maïs et de haricots rouges, les Marocains préfèrent la semoule de blé mélangée aux pois chiches, on mange du riz aux lentilles en Inde... Mais les légumineuses, très consommées jusque dans les années 1950 pour leur rapport qualité/prix, ont été délaissées au profit de la viande. « En cinquante ans, nous avons divisé notre consommation de légumes secs par cinq », explique Sylvie Gautron, du Centre culinaire contemporain de Rennes. En binôme avec un chef cuisinier, cette nutritionniste imagine des plats équilibrés à la demande de clients industriels et à destination de la restauration collective. « La légumineuse est de nouveau sollicitée, mais elle n’est pas très gourmande dans une assiette si on ne la travaille pas un peu, avoue-t-elle. Outre l’apport protéique, les graines ont pourtant du potentiel : « Certaines moussent ou gélatinisent quand elles cuisent. On essaie d’en tirer parti ». Les qualités organoleptiques des recettes sont parfois testées au restaurant d’essai du Centre culinaire, au bon plaisir des clients !
sgautron@centreculinaire.com
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