Ces fameuses légumineuses !
Bénéfiques pour la biodiversité, l’environnement, la nutrition animale et humaine : où sont passées les légumineuses ?
Dans ce dossier il est question de soja, de fixation de l’azote atmosphérique et d’équilibre alimentaire en protéines... Non pas parce que la rédaction n’a pas réussi à choisir entre l’agriculture, la pollution ou la diététique. Mais parce que le lien entre tous ces thèmes, se trouve dans les... légumineuses ! Des plantes que visiblement il serait temps de redécouvrir.
Un paysage façonné depuis l’après-guerre
Luzernes, trèfles, lupins, féveroles, lentilles, pois..., les légumineuses auraient déserté les champs et les pâturages français depuis les années 50. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la productivité agricole est de mise, l’énergie ne coûte pas cher, l’utilisation des engrais devient courante, avec le développement de l’industrie chimique... La taille des exploitations augmente petit à petit, les régions se spécialisent : la France s’oriente vers la monoculture de céréales (blé, maïs, orge) dans le bassin parisien, tandis que l’élevage s’intensifie dans l’Ouest. Cette séparation des systèmes fait que l’alimentation des animaux (bovins, porcs, volailles) n’est quasiment plus produite sur place. Les éleveurs achètent les céréales (sources de glucides) et doivent importer des compléments de protéines produits hors de France. La mise en forme de ces matières premières (tourteaux, grains et granules) se développe avec la montée en puissance de l’industrie de l’alimentation animale. Malgré plusieurs “plans protéines” mis en œuvre par l’Europe, ce mode de production se voit renforcé par les Accords de Blair House signés à Washington en 1992 : le Vieux Continent est voué à produire des céréales au détriment de la production d’herbe et d’oléoprotéagineux (comme le soja) qu’il doit importer d’Amérique.
Nourrir neuf milliards de personnes
Façonné après-guerre, ce paysage agricole trouve aujourd’hui ses limites. Le contexte mondial évolue. Les pays émergents font bouger les lignes, notamment au niveau des échanges marchands. Et surtout, la population croît. Pour nourrir son milliard d’habitants, la Chine s’est aussi mise à importer du soja et sa part représente aujourd’hui 65 à 70 % des importations totales de soja(1). Une question se pose sans cesse : comment va-t-on réussir à nourrir les huit autres milliards, sachant que les terres agricoles, elles, ne sont pas extensibles, que la production de protéines animales est très gourmande en eau et que cette ressource devient fragile...
Des légumineuses pour sauver la planète ?
En Europe, une des pistes consisterait à retrouver une autonomie en replantant des légumineuses (luzernes, trèfles...) pour nourrir les animaux (bovins, porcs, volailles), mais aussi les hommes (lentilles, pois...)(2). Car elles constituent une source de protéines végétales très intéressante et actuellement sous-exploitée en nutrition humaine. Les légumineuses apparaissent comme d’excellentes candidates pour une autre raison et pas la moindre : elles sont capables de fixer l’azote de l’air avec leurs racines et ne nécessitent donc pas d’ajout d’engrais azotés.
Cela ne se décrète pas
Remettre à profit les bienfaits oubliés de Dame Nature paraît logique et tentant. Mais cela ne se décrète pas. « On ne fait quasiment plus de recherche fondamentale sur les légumineuses depuis plus de vingt ans, explique Jean-Luc Millécamps, du Pôle agronomique Ouest (PAO). Et les jeunes agriculteurs ne sont plus formés à ce type de culture... » Le projet SOS Protein(3), coordonné par le PAO, est né de ce constat et fait suite à plusieurs colloques sur l’autonomie protéique en Europe. « Il part vraiment du terrain et des besoins des agriculteurs », ajoute-t-il. Porté par les Régions Bretagne et Pays de la Loire, il a pour but de relancer la production de protéagineux (dont les légumineuses) pour l’alimentation animale sur le territoire en impliquant tous les acteurs concernés. Il se décline en quatre projets qui ont démarré en janvier dernier. Deux d’entre eux traitent du volet agronomique (maîtrise de la culture, du rendement, sécurisation de la production...) ; le troisième volet est zootechnique (comment mettre en forme les aliments pour qu’ils soient assimilés le mieux possible par les animaux ?) ; le dernier, enfin, s’intéresse au volet économique, aussi bien au niveau de l’exploitation que dans les filières connexes (industriels qui transforment les produits agricoles, coopératives...). « L’économie est au centre de tout et nous nous basons sur quelque chose de très rationnel : le prix, explique Aude Ridier, économiste à Agrocampus Ouest(4). Toute la question est de savoir comment soutenir la filière des légumineuses pour qu’elle devienne rentable. Nous supposons que les acteurs feront leurs choix en fonction des prix et de la concurrence entre les légumineuses produites et les protéines importées. » Les chercheurs se basent sur des états des lieux qui existent déjà et des données qu’ils vont ensuite intégrer dans des modèles analytiques afin de simuler les effets de scénarios prospectifs.
Ce n’est donc pas un hasard si la FAO, l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, a fait des légumineuses le thème de l’année internationale. Derrière ces plantes singulières, se cachent des enjeux économiques, environnementaux et alimentaires à l’échelle mondiale.
(1) En 2014, la Chine a importé 70 Mt de soja sur 108 Mt, soit 65 % des importations mondiales (chiffres de FranceAgriMer).
(2) Le nouveau Plan protéines pour la France 2014-2020 vise à s’appuyer sur les outils de la PAC pour soutenir la production d’oléoprotéagineux et de légumineuses. Il s’agit de réattribuer : 49 millions d’euros vers des aides couplées à la production de cultures riches en protéines ; plus de 100 millions d’euros d’aides à l’introduction de protéines et de semences fourragères dans les élevages pour en accroître l’autonomie ainsi que des mesures agro-environnementales volontaires pour inciter les agriculteurs à diversifier les assolements. Par ailleurs, ce plan incite à poursuivre les efforts en recherche et en formation.
(3) SOS Protein est financé par l’Union européenne dans le cadre des Programmes européens de l’innovation (PEI) et les Régions Bretagne et Pays de la Loire.
(4) Dans l’UMR Structures et marchés agricoles, ressources et territoires (Smart) Inra/Agrocampus Ouest.
Jean-Luc Millécamps
tél. 02 23 48 55 51
pole.agro.ouest@agrocampus-ouest.fr
Aude Ridier
tél. 02 23 48 56 92
aude.ridier@agrocampus-ouest.fr
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