Des bistouris et des souris
Chercheurs, cliniciens et entrepreneurs du grand Ouest collaborent autour de la chirurgie assistée par ordinateur.
L’informatique a envahi notre quotidien révolutionnant nos modes de communications, de travail, mais aussi, depuis les années 2000, l’univers aseptisé des blocs opératoires avec l’avènement de la chirurgie assistée par ordinateur (CAO). Moins invasive, plus précise, la CAO permet, par exemple, de visualiser, d’atteindre et d’extraire des tumeurs profondes à travers une incision millimétrique, de reconstituer une image virtuelle 3D d’un tissu ou encore d’opérer un patient à des milliers de kilomètres de distance... Un domaine en pleine expansion dans lequel les innovations foisonnent à travers le monde et la Bretagne.
Créer les outils du futur
À quoi pourrait ressembler le bloc opératoire de 2020 ? C’est la question qui a motivé et guidé les vingt-sept partenaires(1) français, belges, néerlandais et espagnols du projet européen Mediate (2010-2014). Bio-informatique, mathématiques, traitement du signal, imagerie, réalité virtuelle et augmentée, robotique, ergonomie... Chacune des équipes a ainsi apporté son expertise pour aboutir au développement d’un ensemble de démonstrateurs de CAO adaptés aux domaines cliniques du cardiovasculaire, de l’oncologie et de l’orthopédie.
« L’une des étapes clés du projet a consisté à développer des algorithmes pour créer une représentation multimodale du patient dans laquelle toutes les images (radiographie, scanner à rayons X, IRM, échographie...) ou informations issues d’autres capteurs (mouvements de respiration...), prises avant ou pendant l’opération, se superposent et sont recalées dans le temps (ces clichés n’étant pas tous pris au même moment) et dans l’espace (le patient n’étant pas toujours dans la même position) », explique Chafiaa Hamitouche, professeure au département Image et traitement de l’information de Télécom Bretagne et coordinatrice nationale du projet Mediate.
D’autres algorithmes ont également été développés pour assurer l’interopérabilité des éléments du bloc opératoire. « Nous avons ainsi paramétré tous les logiciels et outils afin qu’ils sachent communiquer et travailler ensemble quels que soient leurs propriétaires et constructeurs, ajoute-t-elle. C’est un peu comme si nous avions aboli les blocages qui peuvent exister entre des logiciels Mac et PC ! » Grâce à ces séries d’algorithmes aujourd’hui brevetés, le chirurgien pourra bientôt accéder sur un seul ordinateur à toutes les informations nécessaires pour l’aider dans sa décision chirurgicale.
1. Les petites pastilles rondes et blanches que l'on voit sur l'instrument situé au-dessus de la main droite du chirurgien lui permettent, grâce à un logiciel de navigation, de localiser chacun de ses instruments et de les fixer avec précision sur les os du patient sans les voir directement.
2. et 3. Le logiciel de planning permet ensuite aux praticiens de vérifier les mesures et les angles à respecter avant de procéder à la coupe des os concernés par la pose de la prothèse.
Photo : DR
Des démonstrateurs prometteurs
Outre un contrôle visuel constant et précis, la CAO offre également au praticien la possibilité d’utiliser la robotique pour améliorer son geste. L’un des démonstrateurs, mis au point par le Laboratoire de traitement de l’information médicale (LaTIM(2)) de Brest et piloté par Chafiaa Hamitouche, permet de mieux localiser et traiter les petites tumeurs osseuses. « Grâce à notre système, le chirurgien peut non seulement connaître les caractéristiques de la tumeur (taille, forme, volume), déterminer précisément : 1) l’endroit où doit être implantée la sonde radiofréquence pour “brûler” la tumeur, 2) le temps de diffusion du courant électrique nécessaire pour la détruire, mais aussi utiliser un bras haptique pour optimiser l’introduction de la sonde, explique-t-elle. Conçu par la société Haption, basée près de Laval, ce bras robotisé à retour d’effort assure un geste précis et sécurisé en se bloquant notamment à l’approche des zones à risques (nerfs, vaisseaux...). » Les deux autres démonstrateurs pilotés par les équipes françaises consistent en un système de guidage pour le remplacement de la valve aortique du cœur développé notamment par le Laboratoire traitement du signal et de l’image (LTSI) et l’entreprise Therenva de Rennes, et un endoscope robotisé doté d’une structure flexible - permettant une seule incision au lieu des trois habituelles - créé par la société grenobloise Endocontrol, le CEA List et Haption. Pour toutes ces innovations, le projet Mediate a reçu en mars 2015 le Prix d’excellence de l’Itea(3) dans la catégorie Impact économique.
Une chirurgie personnalisée
Moins invasive, la chirurgie ne peut pas toujours l’être. Notamment lorsqu’il s’agit de fixer une prothèse de hanche ou de genou. « En orthopédie, la CAO ne permet pas toujours de réduire l’incision mais elle nous aide à opérer de manière plus précise et à mieux fixer les prothèses qui tiennent ainsi plus longtemps », souligne Éric Stindel, professeur, chirurgien orthopédique et directeur du LaTIM. Avant de poser la prothèse, l’os doit être coupé selon différents plans avec une précision de l’ordre du millimètre. Ces coupes peuvent être planifiées en amont à partir d’informations préopératoires (scanner) ou directement pendant l’opération grâce à la technique du “bone morphing” qui permet une reconstruction 3D des surfaces articulaires du patient.
« Pour ce faire, nous fixons d’abord sur chacun de nos instruments et des os concernés des réflecteurs, pastilles microcristallines de 3 mm de diamètre, que nous pouvons suivre et situer dans l’espace grâce à une caméra infrarouge. Nous savons ainsi tout au long de l’opération où est exactement situé chaque élément tel que le guide de coupe, cet outil clé muni d’une fente servant à guider la scie du chirurgien selon les plans et angles définis », précise le professeur. « Selon les statistiques présentées par des équipes brestoises lors d’un congrès en 2007, environ 40 % des patients opérés avec la méthode de chirurgie classique souffrent d’un allongement de plus de 5 mm de la hanche, ce qui peut entraîner des douleurs, mais aussi nuire à la bonne tenue de la prothèse et à sa durée de vie. Avec la CAO, seulement 10 % des patients subissent ce préjudice. »
Brest, pionnière en la matière !
En juin 2015, le professeur Éric Stindel, chirurgien orthopédique au CHU de Brest, s’est vu décerner, lors de la réunion annuelle de la société internationale de chirurgie assistée par ordinateur qui se déroulait au Canada, le Prix Maurice E. Muller pour l’ensemble de sa carrière. Ce “César de la chirurgie assistée”, qu’il a partagé avec toute l’équipe du LaTIM(4) dont il est le directeur, vient ainsi renforcer la position de pionnier du CHU de Brest qui s’est impliqué dès les années 2000 dans ce domaine, l’appliquant notamment à l’orthopédie. Éric Stindel est aussi le co-fondateur, avec Chafiaa Hamitouche, de deux sociétés créées en 2009 : Imascap(5) et Ostesys. La première dédiée au développement de systèmes d’assistance informatique pour la pose de prothèses totales de l’épaule (arthroplastie) compte aujourd’hui treize mille chirurgies réalisées dans le monde entier grâce à ses systèmes. La seconde, Ostesys, propose un système de guidage de l’ostéotomie du tibia, une chirurgie qui permet de retarder la pose de prothèse totale du genou chez les patients atteints d’arthrose précoce.
(1) Cinq grands groupes industriels, onze laboratoires de recherche et onze PME.
(2) Laboratoire de traitement de l’information médicale, unité Inserm 1101 de l’Université de Bretagne Occidentale, de Télécom Bretagne.
(3) Information Technology for European Advancement. Prix européen de technologie de l’information.
(4) Laboratoire de traitement de l’information médicale, unité Inserm 1101 de l’Université de Bretagne Occidentale, de Télécom Bretagne.
(5) Lire La chirurgie du futur en images dans Sciences Ouest n° 296-mars 2012.
Chafiaa Hamitouche
chafiaa.hamitouche@telecom-bretagne.eu
Éric Stindel
eric.stindel@univ-brest.fr
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