Une collecte des microorganismes présents dans les levains est en cours chez les artisans et paysans-boulangers en France.
Les symboles gastronomiques de la culture française sont décidément riches en ferments ! Outre les produits laitiers et le vin, il est un autre aliment dont l’identité dépend de microorganismes et que nous consommons – encore - beaucoup : le pain. Mais depuis trente ans, les technologies de fabrication ont évolué, les boulangeries se sont dotées de gros équipements... Ces événements ont conduit à une certaine standardisation des pratiques (1) et peut-être à un appauvrissement de la biodiversité microbienne des levains. Tel est le contexte du projet de recherche pluridisciplinaire Bakery (2) qui vise à décrire finement la diversité biologique et socioculturelle de l’écosystème agroalimentaire “blé-hommelevain”. Il est coordonné par Delphine Sicard, chercheuse à l’Inra de Montpellier. Le projet Bakery a commencé par une collecte de levains chez une quarantaine d’artisans et de paysans-boulangers dans toute la France (dont 32 travaillent en agriculture biologique pour voir s’il y a des différences) dans le but de faire l’inventaire des microorganismes.
Deux nouvelles espèces de levure
« Nous savons maintenant que Lactobacillus sanfranciscensis, trouvée dans de nombreux levains dans le monde, est une bactérie présente dans la majorité des levains français. Ceux-ci contiennent aussi des levures. La plus connue est Saccharomyces cerevisiae, l’espèce de levure commerciale. Mais il existe plein d’autres espèces de levures qui appartiennent au genre (groupe d’espèce) voisin, appelé Kazachstania. Dans les levains artisanaux et les levains de paysans-boulangers, l’espèce Saccharomyces cerevisiae est peu rencontrée. Les espèces du genre Kazachstania dominent et sont très diverses dans les levains français », explique Delphine Sicard. Ces premières investigations ont été payantes : « Nous avons découvert deux nouvelles espèces de levures du genre Kazachstania ! Elles sont proches de certaines que nous connaissons déjà, mais n’ont jamais été décrites (3). »
Vers un terroir du pain ?
La question est ensuite de comprendre ce qui contribue à la diversité de ces levains : les espèces de blé cultivées ? Le terroir sur lequel elles sont plantées ? Les pratiques boulangères ? Le projet se poursuit donc par des essais sur différents terroirs, dont quatre ont été choisis en Bretagne. « Les artisans et paysans- boulangers ont tous planté les mêmes variétés de blés, poursuit Delphine Sicard. Les lots de farines (trois de variétés anciennes, trois de variétés modernes) vont ensuite servir à initier des levains que nous analyserons pour voir s’ils comportent des différences. » Ces résultats sont très attendus car ils pourraient mettre en évidence un terroir du pain... ! Si ces travaux sont importants pour le maintien de la biodiversité microbienne, l’agronomie, la remise au goût du jour d’anciennes variétés de blés..., ils visent aussi le consommateur de pain à l’autre bout de la chaîne. En connaissant les nouveaux microorganismes, en sachant comment faire varier la composition de leurs levains, les artisans et paysans-boulangers ont des cartes en main pour maintenir des traditions, créer de nouveaux produits et s’adapter aux tendances. Certains consommateurs apprécient en effet la légère acidité des pains au levain et le fait qu’ils soient un peu plus difficiles à mâcher. D’autres préfèrent le pain de mie sans croûte ou recherchent des pains sans gluten pour cause d’allergies. Au-delà du goût, les consommateurs apprécient et recherchent le lien social avec leur boulanger. « Le projet Bakery comporte un volet sociologique sur la représentation du pain chez les consommateurs », souligne Delphine Sicard. Car même les symboles ont leurs faiblesses : aujourd’hui la consommation de pain est bel et bien en baisse en France mais pourrait voir un regain d’intérêt...
Qu’y a-t-il dans le levain ?
Les levains, ou ferments, sont constitués de microorganismes responsables de la fermentation des produits agricoles (céréales, fruits, lait...) et conduisent à la fabrication de nombreux aliments et boissons comme les pains, fromages, vins et bières... On y trouve des bactéries, microorganismes unicellulaires procaryotes (qui ne comportent pas de noyau : leur matériel génétique, composé d’un seul chromosome, se trouve directement dans le compartiment cellulaire), et des levures qui sont aussi des microorganismes unicellulaires mais eucaryotes et qui font partie des champignons (ni végétaux, ni animaux, les champignons sont des organismes eucaryotes qui ont un noyau dans lequel se trouvent les chromosomes). Dans les levains, les bactéries participent aux fermentations lactiques et acétiques qui acidifient le levain. Elles y sont dix à cent fois plus nombreuses que les levures, mais leurs cellules sont aussi beaucoup plus petites. Les levures sont principalement responsables de la fermentation alcoolique qui transforme les sucres en alcool tout en dégageant le CO2 qui permet au levain puis à la pâte de monter, ou à la bière de faire des bulles !
(1) Lire l’ouvrage d’Hubert Chiron, chercheur à l’Inra de Nantes et auteur du livre Les pains français - Évolution, qualité, production (2005).
(2) Le projet Bakery (2014-2017) est financé par l’ANR dans le cadre du programme Systèmes alimentaires durables - Édition 2013 (Alid) et par l’Inra dans le cadre du métaprogramme Méta-omiques et Écosystèmes microbiens.
(3) J. Ramsayer et D. Sicard, 2015. Explorer et conserver la diversité de la flore des levains, un potentiel en boulangerie, Innovations Agronomiques. 44, 45-54. E. Lhomme, C. Urien, J. Legrand, X. Dousset, B. Onno, D. Sicard. 2015. Sourdough microbial community dynamics: An analysis during French organic bread-making processes. Food Microbiology. 53, 41-50.
Delphine Sicard
04 99 61 25 05
delphine.sicard@supagro.inra.fr
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