En exploitant des photos ou des images satellite et radar, les géographes retracent l’évolution des cultures.
Chacun, à côté de chez lui peut constater des changements. Les citadins voient de nouveaux lotissements se créer, les ruraux le champ d’en face changer de culture, ou parfois l’inverse ! Mais ces observations simples ne donnent que peu d’indications sur l’évolution générale de nos paysages. Pour cela, il faut prendre de la hauteur, comme l’explique Samuel Corgne, géographe au LETG(1). « Sur le bassin versant du Yar, près de Lannion, dans les Côtes-d’Armor, sur lequel nous avons mené un travail terminé en 2014, nous avons pu remonter jusqu’aux années 50, avec les premières photos aériennes. » Sur ces photos, les géographes redessinent patiemment les contours des villes, des parcelles agricoles, des forêts, des cours d’eau. « Dès les années 70, les premières images satellite prennent le relais. En les analysant, on peut attribuer à chaque pixel une valeur : culture, prairie, eau, route. Puis on transpose le cadastre, pour retrouver le contour exact des parcelles. » Résultat, entre 1950 et 2011 les chercheurs voient nettement les effets de l’intensification de l’agriculture et du remembrement(2).
Plus d’arbres près des cours d’eau
« Dans les années 50, les parcelles font généralement moins d’un demi-hectare, aujourd’hui elles peuvent en atteindre dix ! Les cartes montrent aussi une diminution des prairies au profit du maïs, plus rentable, par exemple. Mais nous avons aussi constaté que les abords des cours d’eau, terrains souvent pentus, ont peu à peu été abandonnés par les agriculteurs. Ces zones se sont reboisées, soit naturellement, soit parce que la sylviculture s’y est installée. » Un ouvrage vient de paraître en lien avec ces travaux(3). « Ce travail a été possible car nous avions une énorme base de données, notamment d’images satellite sur cette zone », précise le géographe. Car si l’unique image que vous avez est prise en mai, alors il sera difficile de différencier un champ de maïs à peine levé d’une prairie, ou bien l’orge du blé. « Depuis 2013, nous travaillons avec les nouveaux satellites Spot 6 et 7. » De leur orbite, à 694 km d’altitude, ils prennent des images de la Terre avec une résolution temporelle plus grande (tous les 2-3 jours selon leur mode d’acquisition) et une échelle spatiale très fine : un pixel représente une surface de deux mètres sur deux.
L’irrigation gagne du terrain
En Inde, où Samuel Corgne mène actuellement un projet, cela ne suffit pas. « Il y a trop de nuages, les images optiques ne donnent rien. » Le chercheur a alors recours aux satellites radar qui peuvent s’affranchir des conditions météorologiques. « Ils sont sensibles à la structure de la végétation (sol nu, culture...) et à l’humidité du sol », explique Samuel Corgne, qui tire profit de cette particularité puisqu’il s’intéresse notamment à l’évolution des surfaces irriguées, dans un bassin versant de Berambadi où les précipitations des moussons sont de plus en plus irrégulières. « Ce type de culture s’est multiplié. Dans les années 80, il était cantonné aux bords du fleuve. Les politiques publiques incitent à l’irrigation, favorisant des cultures courtes, qui rapportent. » Contrairement à la Bretagne où les cultures se sont regroupées sur les parcelles les plus rentables, en Inde, elles s’étendent car les rendements diminuent. L’analyse fine des images acquises chaque mois montre l’alternance des cultures au fil de l’année. « À cette échelle, il n’y a pas d’autre solution pour avoir une idée du changement d’occupation des sols. Il faudrait faire des enquêtes de terrain, mais c’est très cher et très complexe ! » Les géographes rennais appliquent donc leur savoir-faire un peu partout dans le monde, des vignobles sud-américains aux exploitations de canne à sucre en Afrique orientale.
Un suivi plus terre à terre
En Bretagne, l’Inra réalise un suivi des sols qui remonte aux années 60. « Nous faisons une synthèse des analyses demandées par les agriculteurs lorsqu’ils veulent avoir des conseils pour la fertilisation de leur terre », explique Christian Walter, agronome à Agrocampus, à Rennes. Dans ces données physico-chimiques simples, se lit l’intensification agricole, le retournement des prairies : les stocks de carbone chutent, le phosphore, le cuivre ou le zinc atteignent aujourd’hui les taux parmi les plus élevés en France, alors que les sols bretons étaient naturellement carencés en ces éléments. « Depuis quinze ans, par contre, on note des changements de pratiques à l’inverse et les effets des réglementations : les stocks de carbone se stabilisent, les autres taux augmentent moins vite. » La Bretagne est un cas très intéressant car ses sols sont fragiles, sensibles aux modifications de la matière organique, donc les évolutions y sont très marquées.
christian.walter@agrocampus-ouest.fr
(1) Laboratoire Littoral, environnement, télédétection, géomatique Rennes Costel, UMR 6554 CNRS, Inra, Universités de Bretagne Occidentale, Caen, Nantes, Rennes 2 et Angers.
(2) Processus mis en place dans les années 1960 qui visait à regrouper des parcelles de faibles superficies ou trop dispersées pour en faciliter l’exploitation. Cela a notamment donné lieu à l’abattage de nombreuses haies.
(3) Comment réconcilier agriculture et littoral, Quæ, janvier 2015.
Samuel Corgne
Tél. 02 99 14 20 90
samuel.corgne [at] uhb.fr (samuel[dot]corgne[at]uhb[dot]fr)
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