Sur les traces des origines de la vie
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Un chercheur brestois a participé à une mission dans le Grand Canyon, aux États-Unis, pour étudier l’apparition de l’oxygène sur Terre.
Il a fallu aux chercheurs deux jours de marche à travers le désert du Grand Canyon américain pour atteindre leur camp de base. Deux jours sans ravitaillement possible, avec sur le dos tout l’équipement de camping, dix litres d’eau chacun et surtout leur matériel technique. Car Pierre Sans Jofre, du Laboratoire domaines océaniques(1) de l’IUEM(2) et ses trois collègues allemands et américains ne sont pas des randonneurs ordinaires. Ils sont à la recherche d’indices sur l’apparition de l’oxygène - et de la vie - sur Terre. « L’oxygène est apparu à travers deux grandes phases, explique le géochimiste. La première, il y a 2,2 milliards d’années, après laquelle le taux de dioxygène dans l’atmosphère était de 1 % et la seconde, il y a 800 à 600 millions d’années. Aujourd’hui, ce gaz compose 20 % de notre atmosphère. Nous ne savons pas si cette augmentation a été progressive ou très brutale. »
Le Grand Canyon sous l’eau
Dans le Grand Canyon, au Nankoweap Field, les roches ont le bon âge et sont bien conservées. « En 1999, un chercheur américain avait ramené un petit échantillon de là-bas et trouvé des résultats intrigants. Mais l’échantillon a été perdu... Nous voulions en savoir plus. » Sur place, les chercheurs empruntent un chemin le long de la butte Nankoweap, pendant quatre jours. « Nous avons recueilli des échantillons tous les mètres, poursuit le chercheur, sur 700 m, dans des strates géologiques datant de 800 à 742 millions d’années. À la base de la butte, au niveau des strates les plus anciennes, nous avons trouvé des fentes de dessiccation, des craquelures dans une roche riche en matière organique, signe que la zone était peu immergée. Plus haut par contre, donc plus tard, les dépôts sédimentaires sont très réguliers, de couleur noire, avec des laminations horizontales : le Grand Canyon devait être sous l’eau ! »
Comprendre les glaciations
Dans les roches recueillies, les scientifiques vont chercher les traces chimiques du dioxygène. « Grâce à un traitement à l’acide, nous enlevons toute la matrice minérale, pour ne garder que la matière organique, dont nous étudions le contenu moléculaire. Cela nous donne une idée du type d’espèces qui vivaient à cet endroit. Si les espèces majoritairement en présence sont consommatrices d’oxygène, c’est que ce dernier était présent en quantité suffisamment grande. » La quantité de matière organique fournit également un indice intéressant. En présence d’oxygène, les organismes peuvent oxyder cette matière organique, ce que nous faisons lorsque nous respirons ! « Nous devrions obtenir les premiers résultats dans quelques mois, ajoute Pierre Sans Jofre, nous pourrons les comparer avec des données que nous avons déjà recueillies au Brésil. Et cela me permettra d’en savoir plus sur les relations entre les glaciations, notamment la plus forte d’entre toutes, qui a recouvert la Terre de glace il y a 600 millions d’années, et l’oxygénation de l’atmosphère et l’apparition de la vie. » Avant d’en arriver là, les quatre chercheurs ont dû retraverser le Grand Canyon, avec, en plus de leur équipement et de leurs réserves d’eau, cinq kilos d’échantillons de roches sur le dos. Cet article est dédié à ceux qui imaginent les chercheurs enfermés dans leur laboratoire...
(1)UMR CNRS 6538.
(2)Institut universitaire européen de la mer.
Pierre Sans Jofre
Tél. 02 98 49 86 97
sansjofre [at] univ-brest.fr (sansjofre[at]univ-brest[dot]fr)
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