Le savoir revu par les femmes

N° 291 - Publié le 13 octobre 2011
© Bruno Fernandez - Afp
Initiée par les sciences humaines et sociales, la réflexion sur la place des femmes concerne aussi les sciences "dures" et les disciplines techniques.

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Les études sur le genre s’interrogent sur la place des femmes Dans toutes les disciplines et réécrivent leur histoire !

Au début des années 70, une transformation de la société se met en marche. Les femmes arrivent, de plus en plus nombreuses, sur les bancs de la fac, exemptées de la tutelle du mari ou du père. « Elles accèdent au savoir, et à partir de ce moment, elles vont apporter un regard nouveau sur toutes les disciplines », explique Annie Junter, titulaire de la chaire d’études sur l’égalité entre les femmes et les hommes à l’Université Rennes 2.

Et notamment chercher à savoir quelle place elles accordent aux femmes et au féminin. » C’est l’émergence des études féministes d’abord, puis des études sur le genre.

Une histoire de concepts

Cela implique de revisiter l’histoire de la discipline et d’interroger les concepts qui la structure. On peut citer la contribution des études de genre à la transformation de l’histoire. Par exemple la relecture de la Révolution française, épisode emblématique de l’émergence de la démocratie. « De cette période, on retient souvent la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et le triptyque liberté, égalité, fraternité. Mais l’égalité ne concernait pas les femmes, qui n’étaient alors même pas considérées comme citoyennes. Avant que Michelle Perrot, pionnière de l’histoire du genre, ne se penche sur le sujet, ce paradoxe n’avait jamais été soulevé ! » Dans les sciences sociales, le concept travail ne prenait pas en compte le travail domestique, « qui pourtant contribue à maintenir la force de travail, comme le travail de reproduction. Cette contribution était pourtant reconnue implicitement, notamment par le droit du travail. Car c’est pour que les femmes puissent continuer à accomplir ces activités que la première loi sur le travail est apparue : elle limitait les horaires des femmes dans les manufactures, lorsqu’elles ont commencé à travailler à l’extérieur ! » Pour accomplir cette tâche herculéenne, les sociologues, historien(nes), anthropologues... mêlent analyses théoriques et expérimentations sur le terrain. « Les études sur le genre se nourrissent aussi beaucoup de l’analyse des mouvements sociaux. La parité, par exemple, est, au départ, une aspiration née de la société, et non un concept théorique formulé dans un laboratoire. » Plus proche de nous dans le temps, mais preuve que ces questionnements ne se cantonnent pas à l’Europe, les révolutions arabes questionnent les chercheurs. Quelle est la part des femmes dans ces révolutions ? Quel a été et quel sera leur rôle ?

Un enseignement égalitaire ?

Aujourd’hui les sciences sociales et humaines ont bien entamé ce travail de relecture qui permet aux chercheurs de saisir comment les différences sociales du genre se sont construites (lire Comprendre ci-dessous). Les publications entrant dans le champ scientifique du genre se sont multipliées ces dernières années et ce sont désormais les disciplines “dures” qui s’attèlent à la tâche. « Il faut réviser les concepts et les méthodes, notamment en matière d’enseignement. Les énoncés des exercices ou bien la manière de solliciter les garçons et les filles en classe, par exemple, ne sont pas égalitaires(1). » Peut-être cela pourrait-il expliquer le manque de filles dans les filières scientifiques ?

Rennes dans le trio de départ

En 1984, Yvette Roudy, première ministre aux Droits des femmes de l’histoire de la République française, propose la création de quatre postes en études féministes, une première ! Parmi les trois pourvus, l’Université Rennes2 trouve sa place, grâce aux travaux avant-gardistes déjà menés dans ce domaine par Annie Junter, et se voit dotée d’une chaire de recherche sur l’égalité entre les femmes et les hommes, encore occupée aujourd’hui.

Comprendre – Le genre, une construction sociale

Il y a le sexe biologique, celui avec lequel nous naissons, et qui, sauf ambiguïté, nous classe du côté des mâles ou des femelles. Mais au-delà de cette appartenance sexuée, devenir une femme ou un homme est un apprentissage qui se fait tout au long de la vie. C’est l’ensemble de cette construction sociale, et celle plus générale des concepts féminin et masculin, qu’englobe le mot genre. « Il y a plusieurs dimensions à prendre en compte dans cette construction, explique Annie Junter, titulaire de la chaire d’études sur l’égalité entre les femmes et les hommes à l’Université Rennes2. Elle se réalise dans un environnement où existent déjà des rapports entre hommes et femmes, au sein de la famille, du système éducatif, de la société en général. Ces rapports sociaux ne sont pas neutres, ils sont hiérarchisés en fonction de valeurs sur lesquelles s’est organisée la société. Le féminin étant souvent associé à des valeurs de dominé tandis que les valeurs affectées au masculin sont celles de domination. » Des anthropologues comme Françoise Héritier, des sociologues dont Christine Delphy et Pierre Bourdieu, et des philosophes, notamment Geneviève Fraisse, ont émis différentes hypothèses sur l’origine de ce rapport de domination. Enfin, des études récentes ont montré que les rapports sociaux de genre comportait les mêmes éléments que ceux entre handicapés et non-handicapés, par exemple, ou encore les rapports sociaux de races, qui tous deux se construisent à partir d’un postulat biologique.

Céline Duguey

(1) Voir travaux de Marie Duru-Bellat et Françoise Vouillot.

Annie Junter Tél. 02 99 14 18 14
annie.junter [at] univ-rennes2.fr (annie[dot]junter[at]univ-rennes2[dot]fr)

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