Couper l’appétit des dunes...

N° 289 - Publié le 30 août 2011
© DR
Mise en place d'une sonde stratigraphique qui mesure la compacité et la teneur en eau à différentes profondeurs.

Des physiciens rennais étudient la compacité des montagnes de sable. Pour tenter de stopper leur avancée.

Chinguetti. Une ville à moitié rongée par le sable au cœur du Sahara, en Mauritanie. Les rues, les bâtiments sont envahis. Le désert l’a grignotée petit à petit, et a installé ses dunes dorées à la place des maisons. Cet appétit du sable, qui alarme depuis longtemps les populations, intéresse aussi les chercheurs. Des physiciens de l’Université de Rennes1, en collaboration avec des collègues de l’Insa de Rennes et des universités de Nantes et de Cornell aux États-Unis, étudient depuis plus de dix ans l’avancée de ces vagues sableuses, qui peut atteindre 20 mètres par an. Pour trouver des moyens de les freiner ou de dévier leur trajectoire.

Mesurer l’espace entre les grains

« Dans nos derniers travaux, indique Alexandre Valance, chercheur à l’Institut de physique de Rennes, nous nous intéressons à la répartition entre les zones lâches, où les pieds s’enfoncent, et celles plus compactes qui composent une dune. » Pour cela, ils sont partis en campagne dans le Sahara, en Mauritanie et aussi au Qatar. Munis d’instruments de précision, ils ont mesuré la compacité des montagnes de sable. « C’est le rapport entre le volume réellement occupé par les grains et le volume total de la dune », détaille le chercheur. Une façon de mesurer l’espace entre les grains en quelque sorte.

Des dunes pleines d’eau

« Les instruments envoient un champ électrique dans la dune. En étudiant les signaux-réponse, nous pouvons en déduire la compacité et la teneur en eau. » Car, contrairement aux apparences, une dune peut contenir beaucoup d’eau. « Le sable parvient à la retenir en profondeur car la température y est plus fraîche, c’est un bon isolant. » C’est un élément décisif de la mobilité des dunes. Nous en avons tous fait l’expérience à la plage : pour faire un château, il vaut mieux prendre le sable humide léché par les vagues que le sec qui nous glisse entre les doigts. « Même en faible quantité, l’eau assure la cohésion entre les grains. Elle peut affecter la dynamique de la dune, la rendre plus difficile à transporter par le vent. » L’eau amène aussi l’espoir de faire pousser des plantes sur ces collines désespérément arides, pour freiner leur progression.

Fixer les dunes avec des microbes

Qui dit eau dit aussi possibilité pour la faune de se développer. Lors de leur dernière campagne, en janvier 2011, les physiciens ont confirmé la présence de communautés microbiennes au cœur des dunes(1). « Dès dix centimètres sous la surface, lorsqu’il commence à y avoir de l’eau, nous avons trouvé des microorganismes vivants. En quantité suffisante, ils pourraient modifier la composition du sable et sa cohésion, en sécrétant des sucres. » Cette découverte laisse imaginer un projet peut-être insensé : « Fixer les dunes avec des microorganismes et mener ainsi à bien la vision de l’architecte américain Magnus Larson de créer une “muraille verte” qui traverserait tout le Sahara ! »


Les dunes françaises n’ont pas la bougeotte

En attendant, les recherches se poursuivent dans le laboratoire rennais. « Nous n’avons pas encore toutes les réponses concernant la répartition des zones meubles ou compactes. Mais nous savons déjà que ces différences se retrouvent aussi sur une échelle verticale, lorsqu’on creuse la dune. Ces nouvelles données peuvent nous aider à mieux comprendre la dynamique du désert. » Quant à nous, inutile de scruter avec angoisse nos côtes pendant les vacances, car les dunes n’y ont pas autant la bougeotte. « Ici, elles sont naturellement végétalisées et sont soumises à des contraintes géographiques. Elles ne peuvent guère se déplacer, juste se remodeler, grossir voire disparaître. » À nous de les préserver.
 

LA PHYSIQUE THEORIQUE A DU GRAIN A MOUDRE

Il ouvre ses longues valves, et d’un mouvement brusque les referme. Pour s’enfoncer dans le sable, le couteau utilise une méthode bien à lui. « Comme il est dans un environnement submergé, cette technique permet de déstructurer l’organisation des grains de sable autour de lui et de créer un courant qui va l’aider à descendre », explique Patrick Richard. Ces observations, réalisées par un étudiant de master, donnent à ce physicien et à ses collègues des indices pour comprendre comment se déplacer dans un milieu granulaire. « Si vous cherchez à enfoncer votre main dans du sable, à la verticale, ça va “bloquer ” après quelques centimètres. » Des forces physiques s’y opposent. « Nous savons que certaines actions fluidifient ces milieux. Les vibrations, par exemple, ou un changement de direction de l’effort exercé, comme lorsque vous cherchez à planter votre parasol. » Pour percer le mystère, ils associent aux expérimentations des simulations numériques « indispensables, car il est impossible de mesurer exactement ce qui se passe. Il faudrait mettre des capteurs sur tous les grains ! » À terme, ces recherches pourraient trouver des applications industrielles. Pour créer un robot capable de se balader et de prendre des mesures dans un silo à grains, par exemple.




 

CD
Patrick Richard Tél. 02 23 23 65 57, patrick.richard@univ-rennes1.fr
Céline Duguey

(1)Les modes de vie dans les milieux poreux ont déjà fait l’objet de travaux, notamment par Yves Coineau et Guy Vannier du Muséum d’histoire naturelle.
 

Alexandre Valance Tél. 02 23 23 55 99
alexandre.valance [chez] univ-rennes1.fr (alexandre[dot]valance[at]univ-rennes1[dot]fr)

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