Grâce à des impulsions laser ultrarapides, des chercheurs rennais ont réussi à créer des états éphémères de la matière. Et à les observer. Une première !
Transformer la matière, le rêve date des alchimistes. À l’Institut de physique de Rennes, les scientifiques ne cherchent plus à transformer le plomb en or, mais à maîtriser les changements d’états de matériaux cristallins. « Grâce à des impulsions laser, nous pouvons changer l’état de certains matériaux, explique Maciej Lorenc, transformer un isolant en conducteur. Ou rendre magnétique un cristal qui ne l’est pas initialement. » D’autres scientifiques savaient déjà réaliser de tels exploits en jouant sur la température et la pression. Mais le laser est rapide. Beaucoup plus rapide. Or c’est le temps l’un des points cruciaux des expériences rennaises. « L’expérience est si rapide qu’aucun facteur extérieur, notamment l’échauffement, ne vient la perturber, ajoute le physicien, nous avons donc pu, pour la première fois, photographier ce qu’il se passe au niveau moléculaire dans le matériau, sans artefact. »
Avant l’état d’équilibre
Au sous-sol du bâtiment, dans une salle d’expériences, une installation complexe de miroirs et de lasers a permis d’obtenir les premières informations. « Nous avons montré que la lumière du laser induit des changements d’états électroniques des atomes, détaille Maciej Lorenc, c’est-à-dire que les électrons changent de position dans la matière. Pour cela nous avons étudié la façon dont le cristal absorbe et reflète la lumière au début et à la fin de l’expérience. »
Mais que se passe-t-il entre l’étape initiale et l’étape finale ? Pour le savoir Laurent Guérin est parti au Japon, après son doctorat. Aujourd’hui de retour à Rennes, les résultats de ses expériences ont été publiés en décembre dernier(1). « J’ai travaillé sur un synchrotron, qui envoie des rayons X à très haute intensité et sous forme de pulses très courts, quelques centaines de picosecondes (une picoseconde vaut un billionième de seconde). Nous envoyons ces pulses à différents intervalles de temps après le laser. Cela nous permet de voir l’évolution de la structure avant l’état d’équilibre final, dans un état instable, inexistant dans la nature. »
À l’état stable, les rayons X sont diffractés par le cristal, et ce phénomène donne naissance à des figures optiques appelée taches de Bragg. « En fonction de leur position et de leur intensité, nous pouvons déduire la nature et la position des atomes qui composent le cristal ! » Mais aux premiers instants de la transformation, les figures changent ! Les taches de Bragg font place à des plans caractéristiques. « Comme avec les taches, nous avons pu retrouver la position et la nature des atomes en fonction de l’intensité de ces figures. Et nous avons compris que lorsque les molécules reçoivent l’énergie du laser, elles ne s’excitent pas dans tous les sens. Elles forment des chaînes. Une première molécule bouge, puis transmet de l’énergie à ses voisines d’une même ligne. »
Contrôler la matière
En mars et en avril, l’équipe s’envolera pour Chicago et Grenoble, qui hébergent deux des cinq synchrotrons au monde où l’expérience est possible. « Nous voulons en savoir plus sur l’évolution dans le temps de la taille et de la concentration de ces chaînes de molécules excitées, poursuit Laurent Guérin, pour comprendre le mécanisme de transformation. » Dans un futur proche, les physiciens rennais pourront peut-être aller poursuivre leurs expériences grâce à des impulsions laser encore plus courtes, dans un synchrotron encore en construction aux États-Unis. Et contrôler la matière dans tous ses états...
Un physicien médaille de bronze !
Le 27 janvier dernier, le physicien Maciej Lorenc a reçu la médaille de bronze du CNRS, distinction qui récompense de jeunes chercheurs “spécialistes de talent dans leur discipline”. Arrivé à Grenoble en 2002 après des études en optique femtoseconde à l’université de Poznan, en Pologne, Maciej Lorenc s’est installé à l’Institut de physique de Rennes en 2005. Il y a développé des expériences basées sur les lasers ultrarapides, qui permettent d’observer les transformations dans des matériaux moléculaires.
(1) Capturing one-dimensional precursors of a photoinduced transformation in a material, Laurent Guérin, Johan Hébert, Marylise Buron-Le Cointe, Shin-ichi Adachi, Shin-ya Koshihara, Hervé Cailleau and Éric Collet, Physical Review Letters, 8 décembre 2010.
Maciej Lorenc
Tél. 02 23 23 65 29
maciej.lorenc [at] univ-rennes1.fr (maciej[dot]lorenc[at]univ-rennes1[dot]fr)
Laurent Guérin
Tél. 02 23 23 33 90
laurent.guerin [at] univ-rennes1.fr (laurent[dot]guerin[at]univ-rennes1[dot]fr)
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