Un savoir-faire qui s’exporte

N° 281 - Publié le 30 juin 2014
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L’homoharringtonine est isolée des feuilles de cette variété rare de conifère, Cephalotaxus harringtonia var. sinensis, qui pousse au sud de la Chine.

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Inde, Vietnam : les méthodes de synthèse rennaises, à base de produits naturels, intéressent des pays en développement.

Ce conifère très rare ne pousse qu’au sud de la Chine. Et s’il intéresse les scientifiques, ce n’est pas pour sa beauté, mais parce qu’il contient une molécule, l’homoharringtonine, qui agit contre un type de leucémie répandue au Vietnam : la leucémie myéloïde. La molécule est actuellement en phase finale d’évaluation en milieu hospitalier. « Nous avons pour projet de travailler avec l’université d’Hanoi pour réaliser sa synthèse totale, commence Pierre van de Weghe, chimiste au laboratoire Produits naturels, synthèse et chimie médicinale, basé sur le campus santé de Rennes. C’est un travail de longue haleine. »

Difficile à isoler des feuilles

S’inspirer de molécules naturelles pour fabriquer des médicaments est la spécialité de ce laboratoire rennais, qui tire sa renommée de l’exploitation des propriétés d’extraits de lichens (lire encadré ci-dessous). « L’homoharringtonine est difficile à isoler des feuilles de la plante, qui, en plus, est rare. Si l’on veut s’engager dans des traitements à grande échelle, il est indispensable d’en posséder de grandes quantités. La synthèse par la chimie permet de pallier ce problème de ressource, mais aussi de préparer des composés de structures voisines de manière à en améliorer les propriétés biologiques et diminuer les effets secondaires. »

Les chercheurs vont suivre une deuxième piste en parallèle et synthétiser une autre famille de molécules (différente de celle de l’homoharringtonine) en utilisant une méthode bien maîtrisée au laboratoire : la catalyse à l’or.

« C’est grâce au passage d’un étudiant vietnamien dans notre équipe que les liens se sont tissés avec ce pays, poursuit le chimiste. Nous projetons de créer un laboratoire de recherche commun. Le gouvernement vietnamien a même investi 500 000 € au sein de l’université d’Hanoi pour cela. » L’hôpital d’Hanoi souhaite aussi s’impliquer dans les tests in vivo qui vont suivre.

Structure chimique de la Stachyborine C. La synthèse de cette molécule, qui induit la croissance neuronale, peut prendre plusieurs mois.
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Chercher la bonne route

Les relations des Rennais avec l’Inde sont plus anciennes : un Laboratoire international associé (LIA) d’une trentaine de personnes est implanté à Hyderabad depuis plus de quatre ans(1). Mais un nouveau projet collaboratif commence tout juste sur la synthèse de molécules réinduisant la croissance neuronale. Un chercheur indien arrive à Rennes à la fin de novembre pour commencer à travailler sur le développement d’une stratégie de synthèse d’une molécule, la Stachyborine C, qui possède des activités prometteuses dans ce domaine. Et utiliser la fameuse catalyse à l’or. « Trouver la meilleure voie de synthèse d’une molécule revient à chercher la bonne route. Parfois, il faut revenir en arrière pour trouver un autre chemin... cela peut prendre entre 9 et 12 mois pour un composé tout simple », reprend Pierre van de Weghe. Une fois le principe actif synthétisé, les tests biologiques auront lieu en Inde.

« Ce projet est très important pour nous car très identifiant, précise-t-il. Peu de laboratoires universitaires s’intéressent aux maladies du système nerveux central. Les industriels sont plus avancés que les académiques sur ce thème. Mais le rythme de la recherche académique, avec ses contraintes budgétaires, et des thèses qui durent trois ans, nous permet d’explorer d’autres types de pistes, parfois plus originales. »

En attendant, le chercheur rennais s’est envolé vers l’université d’Hanoi pour dispenser les premiers cours du master 2 de chimie médicinale qu’il vient de créer. Une formation qui n’existe pas à Rennes !

LE LICHEN COMME MODÈLE NATUREL

La faculté de pharmacie de Rennes possède un trésor : un herbier dont la plus grande partie a été constituée entre 1930 et 1960 par le botaniste des Abbayes(2). Il contient près de 1300 espèces de lichens représentées par 7000 échantillons. Sagement conservé au laboratoire Produits naturels, synthèse et chimie médicinale, dirigé par Joël Boustie, il oriente un certain nombre de travaux en cours dans ce laboratoire : des extraits de lichens et aussi certains des microorganismes qui le constituent s’immiscent dans des précurseurs de médicaments dans le domaine de la cancérologie (traitement des mélanomes) notamment(3)

Rens. : Joël Boustie Tél. 02 23 23 47 11, joel.boustie [at] univ-rennes1.fr (joel[dot]boustie[at]univ-rennes1[dot]fr)

CHIMIE ET SANTÉ : EN FORCE À L'OUEST

À l’image du regroupement qui s’est opéré dans le domaine de la chimie des matériaux en 2009 entre Nantes et Rennes, les chimistes qui travaillent en lien avec le vivant réfléchissent à la création d’un groupement d’intérêt scientifique. Angers, Brest, Le Mans, Lorient et Rennes sont dans le coup, soit une centaine de personnes. Des réunions et des échanges sont en cours.

Rens. : Pierre van de Weghe
Tél. 02 23 23 38 03, pierre.van-de-weghe [at] univ-rennes1.fr (pierre[dot]van-de-weghe[at]univ-rennes1[dot]fr)

Nathalie Blanc

(1) René Grée est à l’origine de son implantation.
(2) Henri Robert Nicollon des Abbayes était titulaire de la chaire de botanique de l’université de Rennes
(3) Relire “Les lichens s’invitent à la plage” dans Sciences Ouest n°279 - septembre 2010 et “Le lichen : utile mais fragile” dans Sciences Ouest n°272 - janvier 2010 sur www.espace-sciences.org/magazine.

Pierre van de Weghe
Tél. 02 23 23 38 03
pierre.van-de-weghe [at] univ-rennes1.fr (pierre[dot]van-de-weghe[at]univ-rennes1[dot]fr)

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