Une nouvelle doyenne pour les fourmis africaines

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N° 276 - Publié le 17 juillet 2014
© (1 et 2) - Vincent Perrichot - PNAS / © (3) - Alexander Schmidt – PNAS
1 - Minuscule guêpe parasite (hyménoptère Mymarommatidae).
2 -La fourmi a fait l’objet d’un débat animé sur un blog scientifique amateur. À cause de sa position recourbée, les fans et les spécialistes de l’insecte ayant lu l’article ne reconnaissaient pas l’animal. Il aura fallu les explications directes de Vincent Perrichot pour les convaincre.
3 - Soie végétale en étoile, située sous les feuilles de fougères arborescentes pour les protéger de la déshydratation.

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Les plus vieux insectes d’Afrique ont été détectés dans de l’ambre éthiopien, par un paléontologue rennais. Et éclairent d’un jour nouveau nos connaissances sur l’évolution.

C’est la plus vieille fourmi jamais retrouvée dans l’hémisphère Sud. Repliée sur elle-même, elle est restée figée dans l’ambre, en Éthiopie, pendant 95 millions d’années !(1) Jusqu’à ce que Vincent Perrichot, paléontologue spécialiste des arthropodes et de l’ambre à l’Université de Rennes 1 alors en postdoctorat à Berlin, la mette au jour, il y a deux ans, avec une équipe de recherche internationale. Une découverte exceptionnelle, parue le 6 avril dernier(2).

Dans ces quelque 1,5kg d’ambre, prélevés au nord-est d’Addis-Abeba, se cachaient plus d’une trentaine d’arthropodes. Une araignée, mais aussi des petites guêpes parasites que l’on rencontre encore sous les tropiques ou des collemboles, des insectes dont les descendants peuplent les sols de nos forêts. « J’ai aussi débusqué un représentant de l’ordre le moins diversifié des insectes, les zoraptères, qui vivent sous l’écorce des arbres et que nous connaissons très mal. »

Fourmilière en Laurasia

Prisonniers de la résine, ces insectes de quelques millimètres éclairent d’un jour nouveau nos connaissances sur l’évolution de la faune sur terre. « Jusqu’ici nous pensions que les fourmis étaient apparues dans l’hémisphère Nord, sur le supercontinent Gondwana. Nous avions déjà retrouvé des spécimens vieux de 100 millions d’années dans de l’ambre venu de Charente, ou de Birmanie. Maintenant nous avons la preuve qu’elles étaient présentes presque au même moment sur le supercontinent Sud, la Laurasia, qui englobait l’Afrique actuelle. » Indice supplémentaire : la fourmi éthiopienne ne ressemble pas à ses consœurs européennes. « La famille était déjà diversifiée, signe qu’elle est apparue il y a plus longtemps encore, peut-être à la fin du  jurassique, alors qu’il  existait encore  des  connexions entre  ces deux supercontinents ! »

Premiers fossiles africains

De façon générale, c’est le premier ambre fossilifère mis au jour dans l’hémisphère Sud. « Les trois gisements d’ambre que nous connaissions, au Brésil, en Australie et en Afrique du Sud, n’en contiennent aucun, ajoute le paléontologue. En Afrique particulièrement, les sources de cette résine sont rares, faute de prospection, et parce que la végétation abondante limite les zones d’affleurements. » C’est le géologue d’une compagnie minière locale qui est tombé sur le filon il y a cinq ans. Et qui a décidé, en 2007, d’envoyer un échantillon à deux spécialistes, Alexander Schmidt en Allemagne et Norbert Vavra en Autriche, assorti d’un âge supposé jurassique, 50 millions d’années plus vieux qu’en réalité !

Découvrir l’âge véritable

Pour des âges aussi avancés, il n’existe pas de méthode de datation absolue, comme le carbone 14. « Cela nous a pris beaucoup de temps pour établir l’âge véritable. Ce sont les insectes et les végétaux qui nous ont mis la puce à l’oreille. » Les scientifiques ont ensuite fait appel à des collègues physiciens, chimistes ou encore palynologues. Ils ont, par exemple, testé la dureté de l’ambre, qui augmente avec l’âge. Ou encore sa composition chimique détaillée. « Là nous avons eu une nouvelle surprise. Les géochimistes ont montré que notre ambre se rapprochait d’une variété de résine produite par des plantes à fleurs, et non pas par des conifères, comme c’est le cas des autres gisements de la même époque. Reste à trouver quelle plante pouvait produire de l’ambre en Éthiopie à cette époque. »

Une étude détaillée des insectes et des végétaux découverts est en cours, pour comprendre l’évolution des différents groupes. La prochaine étape consistera à se rendre en Éthiopie, sur le gisement, pour collecter davantage de matériel. Quant à la compagnie minière, le faible volume du gisement ne présentant pas d’intérêt économique, elle ne devrait pas chercher à l’exploiter d’ici là. 

Céline Duguey

(1) À cette époque, l’Éthiopie faisait partie du supercontinent Sud.
(2) Cretaceous African life captured in amber, PNAS, www.pnas.org/ content/early/2010/03/29/1000948107.

Vincent Perrichot
Tél. 02 23 23 60 26
vincent.perrichot [at] univ-rennes1.fr (vincent[dot]perrichot[at]univ-rennes1[dot]fr)

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