La biodiversité hors la loi

N° 272 - Publié le 4 août 2014
© DR / © Malika Ainouche
La spartine anglaise colonise aujourd’hui les marais salés de l’ouest de l’Europe, comme ici à Roscoff (à droite) et Arcachon (à gauche). C’est une espèce très jeune qui s’est formée il y a moins d’un siècle.

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L’homme crée des lois pour la protéger, mais son désir de consommer est plus fort. La biodiversité devient marchande.

Comme la Lune ! Différentes ONG(1) environnementales souhaitaient que la biodiversité bénéficie du statut lunaire de patrimoine commun de l’humanité. Une telle reconnaissance permettait de la préserver de toute appropriation, tout en encadrant son exploitation et son utilisation dans l’intérêt des générations présentes et futures. Mais leur démarche a échoué.

Quoi de neuf depuis Rio ?

« Les États réaffirment leur souveraineté sur les ressources biologiques. Cette logique utilitariste est accentuée, au début des années 90, par le développement prometteur des biotechnologies », explique Nathalie Hervé-Fournereau, spécialiste du droit de l’environnement à l’Université de Rennes 1(2). Des négociations de 1992 à Rio de Janeiro (Brésil) n’émerge qu’une convention, qui se contente d’affirmer que “la conservation de la diversité biologique est une préoccupation commune à l’humanité”. Elle ne fait que convier les parties contractantes, “dans la mesure du possible”, à coopérer entre elles, à identifier les composantes de la biodiversité, à les surveiller, à instituer un système de zones protégées. Par ailleurs, cette convention laisse “vivre” les textes juridiques antérieurs. « Le droit international et les autres droits nationaux et européens - loi française sur la protection de la nature 1976, directive sur les oiseaux 1979, directive Natura 2000 de 1992... - cohabitent avec plus ou moins d’harmonie... rendant le système très éclaté. » Et pendant ce temps, l’homme navigue toujours entre deux états : celui qui va dans le sens d’une plus grande protection de la biodiversité et celui qui favorise une utilisation teintée de durabilité. « Ces deux logiques parviennent difficilement à se conjuguer. L’échéance politique d’enrayer la diminution de la biodiversité d’ici 2010 ne sera pas respectée », poursuit-elle.

Des connotations économiques

Mais la juriste remarque que des mots aux connotations de plus en plus économiques s’immiscent dans les textes concernant la biodiversité. La notion de services écologiques (rendus par la biodiversité à l’homme et aux écosystèmes entre eux) apparaît dans la directive européenne sur la responsabilité environnementale en 2004. « L’irruption dans le droit de cette nouvelle notion conjuguant l’économie et l’écologie suscite d’épineux questionnements sur la valeur de la biodiversité. Elle confère un éclairage rénové de l’obligation de compensation écologique. » Car jusqu’à présent, les compensations, espaces paysagers ou murs antibruit sur les bords d’une autoroute, par exemple, découlaient des études d’impact et se faisaient directement sur le site.

Acheter des unités de biodiversité

Or, aujourd’hui, une idée émerge qui consisterait à créer des unités de biodiversité destinées à être vendues pour compenser des atteintes et les dommages à la biodiversité. La création en 2008 d’une filiale Biodiversité de la Caisse des dépôts et consignations préfigure une fabrique marchande de la biodiversité. « Juridiquement, il s’agit d’une question nouvelle sur laquelle il convient d’imaginer rapidement un encadrement vigilant de ces dispositifs à l’aune de la charte constitutionnelle de l’environnement. » La biodiversité devient marchande ; le droit va devoir s’adapter. 

La formation de nouvelles espèces

Le blé l’est depuis plus de 10 000 ans, le tabac depuis 9000 ans et le colza depuis 1000 ans. Ces plantes domestiquées sont naturellement polyploïdes : elles contiennent plus de deux exemplaires de chaque chromosome – nous autres humains sommes diploïdes, avec deux exemplaires de chacun de nos chromosomes –. « La polyploïdie consiste à doubler le nombre de chromosomes, précise Malika Ainouche, de l’UMR Écobio(3), à Rennes. Certaines plantes peuvent avoir jusqu’à huit ou dix exemplaires, et cela change au cours de l’évolution de l’espèce, sur une échelle de temps plus ou moins longue. » On vient, par exemple, de découvrir que le riz, le peuplier, la vigne l’ont été !

La multiplication du nombre de gènes augmente la flexibilité de l’expression des gènes et produit de nouveaux caractères sur lesquels la sélection, naturelle ou artificielle, peut agir. Les nouvelles espèces polyploïdes montrent souvent une expansion rapide. Certaines sont même envahissantes.

C’est le cas de la spartine anglaise à laquelle s’intéresse la biologiste rennaise. Nouvelle polyploïde formée il y a environ un siècle dans le sud de l’Angleterre, la spartine anglaise a maintenant envahi les marais salés ouest-européens et a été introduite sur plusieurs continents. Les premières analyses de son génome sont en cours à Rennes(4).

Comment ces processus se mettent-ils en place ? C’est ce que des chercheurs (Université de Rennes1, CNRS, Inra), rassemblés au sein du projet ANR “Polyploïdie et biodiversité”(5) piloté par Malika Ainouche, veulent comprendre, en analysant plusieurs modèles polyploïdes, naturels ou cultivés.

Malika Ainouche, Tél. 02 23 23 51 11
malika.ainouche@univ-rennes1.fr
Nathalie Blanc

(1) ONG : Organisation non gouvernementale.
(2) Laboratoire Iode : Institut de l’Ouest : droit et Europe, UMR 6262 CNRS/Université de Rennes 1.
(3) Écobio : UMR 6553CNRS/Université de Rennes 1.
(4) Dans le cadre d’une thèse financée par la Région Bretagne, en collaboration avec le Génoscope et sur la plate-forme de génomique environnementale du Caren.
(5) Réunis lors d’un colloque international sur ce thème en mai 2009 à Saint-Malo : www.icphb2009.univ-rennes1.fr

Nathalie Hervé-Fournereau, Tél. 02 23 23 76 79
nathalie.herve-fournereau [at] univ-rennes1.fr (nathalie[dot]herve-fournereau[at]univ-rennes1[dot]fr)

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