L’or bleu de la Bretagne

N° 268 - Publié le 31 octobre 2014
© Yves Gladu

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Les biotechnologies marines : un savoir-faire de la pointe, que la Bretagne doit valoriser et faire connaître.

La plupart des substances biologiquement actives du 21e siècle seront probablement d’origine marine. Ce constat s’appuie sur le fait que les océans recouvrent plus des deux tiers de notre planète et qu’ils risquent de s’étendre encore. Et aussi parce que, sur terre, les espaces cultivables diminuent, grignotés par l’urbanisation et l’aménagement du territoire.

Un savoir-faire historique

Exploiter les ressources marines, la Bretagne le fait depuis longtemps. Il y a cent cinquante ans déjà, on brûlait des algues pour en extraire de l’iode destiné à la chimie ou à la médecine. Dans les années 1990, la démarche est devenue plus scientifique. De nouvelles technologies exploratoires se sont développées et la recherche en biotechnologies marines s’est structurée à l’Ifremer à Brest, au CNRS à Roscoff, au muséum à Concarneau, soutenue par des moyens financiers mobilisés tant aux niveaux national que régional.

Les premiers transferts de technologies réalisés par CBB Développement(1) à la fin des années 80 concernaient des extraits d’algues destinés à produire des molécules actives pour la cosmétologie. La chitine issue de la carapace des crustacés et des crevettes, et utilisée comme base hydratante ou pour fabriquer des pansements autorésorbants, entre en phase de commercialisation. « Aujourd’hui, les produits finis ne sont plus fabriqués en Bretagne, mais le savoir-faire sur la chimie et la biologie des algues et des organismes marins est toujours ancré dans le Finistère », explique Gilbert Blanchard, directeur de CBB Développement.

L’ère des biotechnologies n’aura pas lieu ?

Mais... « si les biotechnologies marines ont émergé il y a vingt ans aux États-Unis et suscité beaucoup d’excitation, elles n’ont pas provoqué le raz de marée espéré en France ni en Bretagne, se souvient Catherine Boyen, directrice de recherche en biologie marine à la Station biologique de Roscoff et responsable du réseau d’excellence européen Marine Genomics Europe de 2004 à 2008. Parce que c’était trop tôt : nous n’avions pas assez de données sur les génomes des organismes marins, par exemple. » De même, le thème des biotechnologies marines ne s’est pas développé au sein du réseau Marine Genomics Europe. « En quatre ans, nous n’avons pas eu le temps d’arriver jusqu’à la phase de transfert technologique et de valorisation des données. On était trop occupé à les produire », poursuit-elle.

Les conditions sont réunies

Aujourd’hui, les conditions sont réunies. Déjà parce que les biotechnologies marines, en offrant des opportunités concernant la mise au point de molécules biodégradables, se trouvent en phase avec la dynamique actuelle du développement durable. Mais aussi parce que les données sont là. « Grâce aux technologies modernes de la génomique haut débit, on connaît aujourd’hui le génome de microbes, d’algues, d’invertébrés, de poissons... bref, nous avons des données en masse, prêtes à être analysées et exploitées », poursuit Catherine Boyen.

La Bretagne affiche une douzaine de projets labellisés biotechnologies marines par le pôle de compétitivité Mer Bretagne, dont certains, débutés il y a plus de trois ans, commencent à aboutir (lire pages suivantes). La région compte également une vingtaine d’entreprises pour lesquelles les biotechnologies marines constituent le cœur de métier. En y ajoutant celles qui sont utilisatrices ou qui n’en ont qu’un usage plus accessoire, on arrive à 75établissements(2).

Changement d’échelle

« Le défi aujourd’hui est d’arriver à valoriser nos savoir-faire en produisant des molécules à haute valeur ajoutée, précise Gilbert Blanchard. Mais nous sommes confrontés à un problème de changement d’échelle. » En effet, après la récolte et l’identification des molécules actives, l’objectif est de pouvoir en assurer une production sécurisée. Dans certains cas, cela revient à reproduire la molécule par synthèse ou par génie génétique, pour ne pas devenir dépendant des ressources marines.

Ce concept de la “moléculture” ne s’applique d’ailleurs pas qu’au milieu marin. Il concerne tous les secteurs des biotechnologies. Celles-ci sont justement en pleine structuration en Bretagne, sous la bannière Capbiotek, présentée officiellement par Jacques de Certaines le 19 juin dernier au Zoopôle de Ploufragan (Côtes-d’Armor). « Développer les biotechnologies revient à valoriser les savoir-faire en décloisonnant les filières. Il faudrait arriver à parler des biotech comme on parle des Tic(3) aujourd’hui », illustre-t-il.

Parlez-vous biotech ?

Pour Catherine Boyen, le fait que les biotechnologies marines existent est une chance pour la région. « On ne parle pas, par exemple, de biotechnologies de montagne ni de biotechnologies de désert ! » L’association de la Bretagne et de la mer n’est pas seulement une image : « Aujourd’hui, on a du contenu ! »

Honoré par l’Académie des sciences

Laurent Meijer, 56ans, directeur de recherche à la Station biologique de Roscoff, recevra le 13octobre prochain le Grand Prix Émile Jungfleisch(4) de l’Académie des sciences. Il travaille depuis plus de vingt ans sur les kinases, une famille d’enzymes qui régule la multiplication et la mort cellulaires. Avec son équipe(5), il cherche des inhibiteurs de ces enzymes chez les invertébrés marins (oursins, éponges…). Ces molécules présentent un grand intérêt thérapeutique. Certaines sont actuellement en phase d’essais précliniques ou cliniques pour leurs activités anticancéreuses, d’autres se révèlent prometteuses pour traiter la polykystose rénale, la maladie d’Alzeihmer(6) et le traitement de la douleur. Certains de ces travaux sont menés par l’entreprise ManRos Therapeutics, créée en 2007 par le chercheur.

Le grand prix Émile Jungfleisch (150000*) est devenu en 2008 l’un de plus grands prix de l’Académie des sciences. Avec son montant, Laurent Meijer espère développer un modèle cellulaire original de la maladie d’Alzeihmer.

Laurent Meijer
Tél. 02 98 29 23 39
meijer@sb-roscoff.fr
Nathalie Blanc

(1)CBB Développement : Centre de biotechnologies en Bretagne.

(2)Données issues d’une synthèse sur les biotechnologies marines en Bretagne, réalisée par CBB Développement, le Critt santé Bretagne et Rennes Atalante.

(3)Tic : Technologies de l’information et de la communication.

(4)Dans le domaine de la chimie organique et/ou de la biochimie.

(5)Le groupe phosphorylation de protéines et pathologies humaines.

(6)Lire Sciences Ouest n°237 - novembre 2006 sur www.espace-sciences.org

Gilbert Blanchard
Tél. 02 99 38 33 30
gilbert.blanchard [at] cbb-developpement.com (gilbert[dot]blanchard[at]cbb-developpement[dot]com)

Catherine Boyen
Tél. 02 98 29 23 31
boyen [at] sb-roscoff.fr (boyen[at]sb-roscoff[dot]fr)

Jacques de Certaines
Tél. 02 99 67 42 00
jacques.de-certaines [at] orange.fr (jacques[dot]de-certaines[at]orange[dot]fr)

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