Une étoile dans un caisson

N° 262 - Publié le 18 novembre 2014
© Nicolas Guillas
Pour comprendre la chimie du cosmos, les télescopes ne suffisent pas. Il faut faire des expériences
en laboratoire, comme Ludovic Biennier.

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Comment se forme la suie, près d’une flamme ? Des chercheurs s’y intéressent, pour mieux connaître les étoiles.

Avant d’être une supernova ou une naine blanche, une étoile se transforme en géante rouge. Elle éjecte du carbone, dont la température passe du très chaud (1500°C) au très froid (-173°C). Dans les zones denses de l’enveloppe de l’étoile, le carbone réagit alors, notamment avec l’hydrogène, pour créer des poussières originales. Les chercheurs veulent en savoir plus sur ces poussières ! Cela doit permettre de mieux comprendre le cycle de vie des étoiles, qui naissent dans les nuages interstellaires.

Mais pour décortiquer cette chimie du cosmos, les télescopes ne suffisent pas. Ils ne voient rien ! Car les rayons lumineux de l’étoile sont piégés par les poussières. Il faut réaliser des expériences en laboratoire. C’est possible, car ces particules ressemblent à celles qui se forment, chez nous, quand on brûle une énergie fossile : c’est de la suie !« Les conditions de température dans l’enveloppe des étoiles sont proches de celles d’une flamme en combustion. Et on y trouve de l’acétylène, qui provient sur Terre de la dégradation du carburant », explique Ludovic Biennier, chargé de recherche au CNRS.

Dans un moteur ou près d’une étoile

Ce physicien de l’équipe Astrochimie expérimentale de Rennes, réalise des expériences, pour mieux comprendre la formation de la suie. Car près d’une étoile, ou près d’une flamme, on ne sait pas exactement comment les atomes de carbone et d’hydrogène s’organisent ! Les “signatures spectrales” des particules créées ressemblent à celles de l’espace... mais ce sujet n’intéresse pas seulement les astronomes. Les constructeurs automobiles, par exemple, veulent réduire la suie produite par les moteurs diesel. Elle contient des hydrocarbures “aromatiques polycycliques” (HAP), volatils et cancérigènes : certains restent prisonniers des filtres à particules... d’autres se retrouvent dans les alvéoles pulmonaires.


Les enveloppes des étoiles géantes (ici, Bételgeuse)
sont le berceau de particules originales.
© HST-Nasa

« Nous(1) avons montré qu’une étape clé du modèle de formation de la suie n’est pas bonne. » Jusqu’à présent, on pensait que les petits HAP étaient des “briques élémentaires”, s’empilant deux à deux pour créer des poussières. « Mais aux températures des enveloppes interstellaires ou des flammes d’un moteur à combustion, il faudrait une pression de 400bars pour que les HAP se collent et créent un noyau critique. Cette pression n’existe ni près d’une étoile, ni dans un moteur. »

« L’idée de faire une expérience, pour remettre en cause le modèle de la suie, était de Bertrand Rowe(2). Intéressé par les problèmes de combustion, il s’est dit : là, il y a un hic. » Les expériences menées depuis trois ans se font dans un caisson, unique au monde, où il fait très chaud : 1500°C ! « Nous avons mis au point un réacteur qui simule les températures des enveloppes. Il permet d’étudier le collage des HAP. C’est une source de carbone circumstellaire(3). » Cette année, un article devrait être publié dans Science sur ces recherches.

 

Nicolas Guillas

(1)Avec le professeur Ian Sims et le docteur Hassan Sabbah, aujourd’hui en postdoc à l’université Stanford.
(2)Bertrand Rowe est directeur de recherche dans l’équipe Astrochimie expérimentale. (3)Circumstellaire : autour d’une étoile.

Ludovic Biennier
Tél. 02 23 23 61 90
ludovic.biennier [at] univ-rennes1.fr (ludovic[dot]biennier[at]univ-rennes1[dot]fr)

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