Algues et virus jouent à cache-cache
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Des microalgues marines ont développé une stratégie de camouflage pour se protéger des virus. Des chercheurs les ont démasquées !
Elles forment des efflorescences saisonnières, comme de grandes taches blanches dans l’océan, visibles par satellite. Il s’agit de la microalgue Emiliania huxleyi. Ses cellules peuvent se multiplier très rapidement en populations gigantesques, puis s’effacer en quelques jours ou semaines. On sait depuis quelques années que cette disparition est due à l’attaque de virus, les EhV (Emiliania huxleyi Viruses), qui se transmettent rapidement lorsque la concentration en microalgues dans l’eau est élevée. Mais certaines Emiliania parviennent à échapper à leurs attaques.
À la Station biologique de Roscoff, les chercheurs de l’équipe Atip(1) “Évolution du plancton et paléocéans” ont découvert comment, mettant ainsi en évidence un nouveau type de relation hôte-parasite(2).
La course à l’évolution
Selon la théorie générale, l’hôte (l’algue) doit évoluer constamment pour se libérer de la pression de son parasite (le virus). Mais le parasite évolue à son tour pour anticiper, et ainsi de suite... La microalgue Emiliania huxleyi a trouvé une autre méthode pour se cacher et éviter cette course à l’évolution ! Elle peut prendre deux formes au cours de sa vie : une diploïde (voir encadré) calcifiée et responsable des efflorescences, et une haploïde, sans plaques calcaires. C’est cette phase haploïde qui assurerait la survie de l’espèce face aux virus. Miguel Frada, doctorant dans l’équipe, a infecté avec des EhVirus les deux formes de la microalgue. « Les cellules diploïdes sont rapidement détruites, tandis que dans les cultures composées uniquement d’haploïdes, le virus reste en suspension. Il ne parvient pas à s’accrocher à la cellule, comme si celle-ci lui devenait “invisible”. » Les chercheurs ont également démontré que la présence du virus force la transition des cellules diploïdes vers leur forme haploïde, comme pour se protéger.
Sauver l’espèce
Cette évolution de l’haploïdie vers la reproduction sexuée est un phénomène connu dans la dynamique des populations, chez certains insectes comme les pucerons notamment. « Chez Emiliania, le sexe – au sens de l’alternance entre les phases haploïde et diploïde – sauve l’espèce des virus, explique Colomban de Vargas, directeur de l’équipe.
Cela peut surprendre car, chez l’Homme, on parle souvent de virus sexuellement transmissibles.
En réalité, ce ne sont pas les gamètes qui transmettent les virus mais la proximité de deux corps.
Les gamètes humains pourraient même, comme chez Emiliania, être des formes de cellules particulièrement résistantes aux virus. »
En phase diploïde, la cellule
d’Emiliania huxleyi (3 à 4µm)
est recouverte d’écailles de calcaire.
© DR
Les chercheurs de Roscoff souhaitent désormais observer les phases haploïdes directement dans l’océan, pour mieux comprendre le déclenchement du changement de phase et le comportement du virus dans le milieu naturel. L’équipe est d’ailleurs impliquée dans la prochaine expédition du voilier polaire Tara, dont le projet, lancé le 19 novembre, vise à explorer la diversité des microorganismes marins et à séquencer leurs génomes. L’expédition mondiale de trois ans démarrera en 2010 pour faire escale dans des sites présentant des perturbations de la vie océanique, ou des zones acides, qui correspondent à ce que pourrait devenir l’océan du fait du réchauffement climatique. Un moyen d’observer aujourd’hui l’océan du futur !
Question de chromosomes
Certains êtres vivants comme les animaux, les plantes et notamment l’Homme sont diploïdes : leurs cellules contiennent deux jeux de chromosomes, l’un du père, l’autre de la mère. Seuls les gamètes (ovules et spermatozoïdes) sont haploïdes. Ces cellules ne possèdent qu’un exemplaire de chaque chromosome, ce qui leur permet, en s’appariant, de reformer des êtres à deux jeux de chromosomes.
D’autres organismes, comme les algues unicellulaires, les coccolithophores, peuvent exister sous les deux formes (haploïde et diploïde), qui présentent des caractéristiques morphologiques très différentes.
(1)Atip : Action temporaire d’intérêt particulier.
(2)Miguel Frada, Ian Probert, Michael J. Allen, William H. Wilson, Colomban de Vargas. (2008) The “Cheshire Cat” escape strategy of the coccolithophore Emiliania huxleyi in response to viral infection. Pnas, n°41.
Colomban de Vargas
Tél. 02 98 29 25 28
vargas [at] sb-roscoff.fr (vargas[at]sb-roscoff[dot]fr)
Miguel Frada
Tél. 02 98 29 25 37
frada [at] sb-roscoff.fr (frada[at]sb-roscoff[dot]fr)
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